Après Lokolama en 2017, les scientifiques de l’Université de Leeds (Royaume Uni) et ceux de l’Université de Kisangani (République démocratique du Congo) mènent de nouvelles recherches dans la forêt d’Ingende, le long de rivières Ruki et Busira dans la province de l’Equateur en République démocratique du Congo. Ces recherches lancées en mi-juin, devront prendre 2 mois. Les chercheurs parcourront quatre transects de 6 à 10 kilomètres chacun, pour prélever des échantillons d’eau et tourbe, des végétations forestières, et mesurer le flux de gaz à effet de serre provenant de sol et des arbres.
Pour cette nouvelle expédition, les médias nationaux et internationaux ont été mobilisés pour suivre le travail des scientifiques sur le terrain. Notre arrivée au campement érigé au village Mpeka sur la rivière Ruki, a coïncidé avec le retour de forêt, des chercheurs et leur guide.
Il est 18 heures, lorsque l’équipe dirigée par Gretta Dargie (Université de Leeds) et Corneille Ewango (Université de Kisangani) débarque avec quelques échantillons de végétations prélevées dans la forêt, pour confronter les données issues des images satellitaires à celles du terrain.
« Nous venons de parcourir environ 1 kilomètre et demi, dans la forêt. Les données préliminaires confirment l’existence des tourbières. A peine 500 mètres, nous avons sondé et trouvé des tourbes de plus d’un mètre de profondeur, c’est très rassurant. Si l’on doit considérer que 1 mètre équivaut à 1000 ans, donc nous estimons que les accumulations ici vont au delà de 1500 ans. C’est à l’issue des analyses de la datation des tourbes prélevées que nous pourrons savoir avec exactitude, leur âge », précise le professeur Ewango. « Nous avons également prélevé les échantillons des arbres, des lianes, et des herbes que nous avons trouvé dans les tourbières. Ces échantillons vont nous aider à caractériser la végétation ».
Aussitôt arrivés au campement, ce botaniste de renom international et ses disciples n’ont pas eu de temps libre. Ils se mettent à classifier la végétation ramenée de la forêt, identifier les plantes les unes après les autres, avant d’en constituer un herbier qui sera ramené par la suite au laboratoire de l’Université de Kisangani.
Le lendemain matin, nous embarquons tous à bord des pirogues motorisées pour la forêt marécageuse de Mpeka. Notre guide du jour, c’est bien, Gretta Dargie, cette jeune scientifique connue pour ses recherches pointues sur les tourbières de la Cuvette centrale.
«Toutes les recherches que nous menons dans cette forêt sont nouvelles. Je suis contente d’être dans ce nouveau site et avoir de nouvelles données pour améliorer notre carte d’estimation de stock de carbone », nous renseigne-t-elle.
Une nouvelle végétation
Sur leurs pistes, les chercheurs ne laissent rien au hasard. Ils observent minutieusement les écosystèmes et prélèves des échantillons.
« On a quitté la petite bande de forêt. Ici commence cette végétation avec les palmier rotin. Ça c’est une végétation que nous n’avons pas encore rencontrée dans les tourbières, depuis que nous avons commencé à explorer. Ceci ajoute un autre type de végétation que nous n’avons pas pu découvrir en utilisant les images satellitaires », affirme Corneille Ewango.
Depuis le début des explorations des tourbières de la RDC, les scientifiques ont déjà recensé et identifié plus de 125 espèces de plantes de grands arbres. Certaines de ces espèces ont la spécialité de ne vivre que dans les tourbières. C’est le cas de Ubangia Africana, Guibutia demeusei et Mbaka qui sont des espèce phares de ces zones.
Les tourbes de la RDC sont différentes de celles du Congo Brazzaville
Pour les scientifiques, les recherches dans les tourbières de la RDC sont plus importantes et pourront aider à quantifier avec exactitude le stock de carbone dans la Cuvette centrale.
« Pour notre première estimation de stock de carbone dans les zones de tourbière du bassin du Congo, presque toutes les données ont été collectées au Congo Brazzaville. On veut maintenant les données de la RDC, pour avoir une meilleure estimation de ce stock », a indiqué Gretta Dargie.
Cependant, à la lumière des observations, il se dégage que la morphologie des tourbes de la RDC soit différente de celle du Congo Brazzaville, affirme les chercheurs. « Là-bas [NDLR : en République du Congo], il y’a de grandes superficies des tourbières loin des rivières. Tandis qu’ici, la morphologie de tourbes est un peu différente. Lorsqu’on regarde les cartes, on constate qu’en RDC, les tourbes suivent les rivières. Peut-être, il y’a une différence dans la formation entre les tourbes ici en RDC et là au Congo Brazzaville », nous révèle Gretta.
A en croire cette chercheuses, le fait que les tourbes de la RDC soient plus proches de rivières pourrait avoir une influence dans leurs réactions face aux menaces des changements climatiques. Cette thèse pourrait faire l’objet d’une autre étude afin de mieux comprendre la dynamique de ces tourbières.
Nicholas Girkin fait partie du groupe des chercheurs. Avec son kit spécial, il mesure la quantité de gaz à effet de serre stockée dans le sol et les arbres. Des données utiles pour une meilleure estimation de carbone contenu dans ce gigantesque puits.
« Nous mesurons la concentration du dioxyde de carbone, le nitrate d’azote et le méthane. Nous faisons des prélèvements chaque 5 minutes, et après nous allons faire des analyses pour connaître la composition de chaque gaz séquestré dans les arbres et le sol », a-t-il indiqué.
Ne jamais perturber ces zones
Pour Greenpeace Afrique qui, en collaboration avec les scientifiques, organise cette expédition, le message est claire, il faut impérativement protéger ces zones d’intérêt mondial.
« Pour nous, ces écosystèmes sont d’une importance capitale et doivent être protégés afin que demain, nous ne puissions pas être parmi ceux-là qui vont regretter de n’avoir pas tiré attention à leur protection », a déclaré Patient Muamba, responsable de campagne forêt à Greenpeace Afrique.
Cette organisation internationale a voulu à travers cette expédition, se rassurer de la prise en compte par les chercheurs, des besoins de communautés locales et peuples autochtones dont la survie dépend de ces forêts.
« Pour nous il était important de discuter avec les scientifiques, discuter également avec les communautés qui vivent dans ces tourbières afin de recueillir leurs impressions par rapport à l’existence même de ces zones et en savoir plus sur les différentes solutions qu’elles ont toujours proposées pour la protection de ces tourbières », a indiqué Monsieur Muamba.
Notons par ailleurs que cette nouvelle recherche dans les tourbières de la RDC se fait simultanément avec celle menée dans les forêts de la République du Congo. Elle s’inscrit dans le cadre du projet CongoPeat, lancé en 2017 et dont l’objectif est de mener des recherches pour mieux comprendre le fonctionnement des tourbières dans le bassin du Congo.
Fifi Solange TANGAMU