Préambule : je ne suis ni neutre, ni même pleinement indépendant, car je suis grandement déterminé par la sonorité de mon nom, par mon genre, par ma couleur de peau, par ma nationalité ou encore par ma classe sociale, que je n’ai pas choisi librement mais qui m’ont été imposés par les circonstances et les conventions de la vie. Il est fondamental que nous restions toujours conscients de ces déterminants, quand nous nous exprimons ou quand nous nous écoutons.
La semaine dernière, comme près de 600 autres personnes, j’ai participé à la 17ème réunion plénière du « Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo » (PFBC), qui était cette année organisée par l’Union Européenne à Douala. Le PFBC est un bon exemple de ce que sont les réunions internationales du secteur vert. Il s’en organise une douzaine d’autres chaque année à l’échelle de l’Afrique Centrale, bien que moins larges en thématiques et fréquentations.
Les organisateurs et participants de ces réunions (tels que moi) dépensent des budgets en temps, en argent et en gaz à effet de serre (rarement compensés) qu’ils ne peuvent négliger. Alors pourquoi ces réunions ?
La principale motivation des organisateurs et des participants, selon moi, est que ces réunions sont des « marchés sectoriels ». En première apparence, ces marchés permettent d’échanger des informations.
En haut de l’affiche, on trouve des sessions d’échanges de réflexions et de positions thématiques, via des débats, des groupes de travail ou des questions/réponses etc. : c’est ainsi que sont supposés évoluer les agendas politiques, que se disséminent les nouveaux concepts et mots clé, et que finalement émergent de nouvelles priorités pratiques. Cependant, les organisateurs accordent moins de place aux échanges d’opinions qu’aux échanges d’expertises, et surtout, qu’aux échanges d’informations sur les projets.
En effet, que ce soit sur l’affiche officielle via les side-events ou les power-point présentés en sessions thématiques, ou en dehors de l’affiche via les discussions dites « de couloir », les participants cherchent avant tout à échanger des informations sur les projets, qu’ils soient en lancement, en cours, ou en clôture.
Finalement, au-delà des premières apparences, ces marchés sont surtout destinés à permettre aux acteurs majeurs du secteur d’échanger les ingrédients nécessaires au montage de ces projets, car le secteur vert en Afrique ne fonctionne que sous cette modalité : le « projet international ». Il y a peu d’alternatives : l’argent, qui est le carburant de toute guerre y compris celle pour la préservation de la nature, ne circule pas ou peu dans la région via les subventions nationales publiques alimentées par la fiscalité ou via les dons des citoyens.
Or ces projets nécessitent l’investissement d’au moins 3 types d’acteurs majeurs, qui ont besoin de se rencontrer à intervalles réguliers : les bailleurs qui fournissent l’argent et la caution internationale (surtout occidentale), les administrations qui fournissent la maîtrise d’ouvrage et la légitimité d’un ou plusieurs états-nations Africains, et les prestataires de services (surtout occidentaux, à but lucratif ou charitable) qui fournissent la maîtrise d’œuvre et la crédibilité technico-scientifique.
Compte tenu de la distribution géographique de ces acteurs majeurs à travers le monde, il apparaît que les réunir est difficile et coûteux, donc on peut formuler l’hypothèse que les réunions internationales telles que le PFBC sont financées aussi (surtout ?) parce qu’elles servent d’occasions légitimes pour tenir ces marchés aux projets.
Des marchés où, cependant, les acteurs évitent autant que possible de se faire ouvertement concurrence entre eux, où il y a rarement des fusions-acquisitions (ou même des alliances ad hoc) et où les intégrations verticales ont disparu (chacun reste dans son cœur de métier) : les bailleurs financent, mais ils se sont séparés de leurs outils d’action le cas échéant ; les administrations endossent des projets mais ils ne veulent pas financer et peuvent rarement mettre en œuvre ; les partenaires techniques implémentent et parfois cofinancent mais en tant qu’organisations étrangères, ils se doivent de recevoir un mandat des administrations pour agir. Enfin, on constate que tous ces acteurs font le moins possible de politique (sans que l’on sache bien, pourtant, à qui ce rôle est dès lors dévolu).
D’autres acteurs fréquentent ces réunions : des organisations de la société civile (OSC), des journalistes, de rares responsables sociaux et environnementaux (RSE) de grandes entreprises extractives ou encore quelques élus.
Comme évoqué ci-dessus, la modalité principale de financement du secteur vert en Afrique Centrale est le projet, financé par l’APD internationale : hors les industries, ces autres acteurs ne disposent pas de fonds fournis par leurs états nationaux ou par leurs concitoyens, donc la plupart d’entre eux participent au PFBC grâce aux financements des projets d’APD, financés, conçus et implémentés par les acteurs majeurs précédemment cités.
En conséquence, on ne peut s’empêcher de supposer que si ces acteurs majeurs financent la participation des OSC, des journalistes et des élus aux réunions internationales via leurs projets, c’est qu’ils espèrent que ces derniers auront tendance à valoriser, ou a minima, à cautionner globalement le système actuel des projets internationaux de conservation ? Retour d’ascenseur d’autant plus légitime que la plupart de ces OSC et journalistes retirent à l’occasion quelques bénéfices de ces projets internationaux, sous forme de sous-contrats, consultations rémunérées ou postes honorifiques défrayés. Peut-être même que, lors de certains débats organisés pendant ces réunions internationales, si émergent des questions susceptibles d’embarrasser leurs mécènes, certaines OSC et certains journalistes cèdent plus ou moins consciemment à une forme d’autocensure ?
On comprend ainsi l’importance vitale de ces réunions internationales (diffuser les nouveaux concepts, faciliter les marchés aux projets et les valoriser), mais aussi leur limite : les acteurs non dominants, en particulier les OSC et les journalistes, puisqu’ils ne peuvent y participer que grâce aux financements des acteurs dominants, ne peuvent pas y porter des positions réellement différentes, indépendantes et innovantes.
En conséquence, les débats d’idées en sont amoindris et ne permettent pas de sortir du statut quo politique, stratégique et tactique actuel qui n’inverse pas la 6ème extinction en cours en Afrique.
Dès lors, un enjeu majeur des réunions internationales en générales et des futurs PFBC en particulier, autrement dit un défi pour tous les acteurs listés ci-dessus, est de réveiller ces débats d’idées et pour cela, d’instituer un dispositif équitable qui puisse financer d’une part la participation d’acteurs légitimes et pertinents mais financièrement faibles, comme le sont nombre d’OSC et de journalistes, tout en préservant d’autre part leur totale indépendance à l’égard des acteurs dominants et de leurs projets – tout aussi légitimes et pertinents qu’ils soient également !
J’espère que la prochaine facilitation du PFBC se saisira de cette question et que tous les acteurs mentionnés ici contribueront à inventer ce dispositif.
Romain CALAQUE, consultant.
Un commentaire sur “Basin du Congo : Pourquoi les réunions internationales ? (chronique de Romain CALAQUE)”
…En effet…débats d’idées, possible; dispositif équitable,…moins évident. Nous avons d’une part des états avec des officielles ressources financières réduites à être dispatchées entre milles priorités et toutes urgentes.et d’autres part des bailleurs de fonds soucieux de l’existence d’un juste cadre de dénomination bien orientée.
Mais il est possible pour les uns, de faire preuve d’un peu de fierté…et pour les autres d’enfin aborder les vrais questions susceptibles de nous rendre moins répréhensible face aux générations futures…
En bon entendeur, salut!