Une enquête de Alexandre Brutelle, Dorian Cabrol, Léa Szulewicz et Baron Nkoy (Environmental Investigative Forum)
Depuis 2010, au moins 158 faits de pollution ont été attribués à la société pétrogazière pour ses activités en République Démocratique du Congo, parmi lesquels de nombreux cas de torchage de gaz. Une pratique polluante pourtant interdite dans le pays depuis 2015. Une immense flamme et ses fumées noires s’élèvent à l’horizon, non loin des champs de palmiers de Joof, un agriculteur d’une trentaine d’années. Il jure en direction de la flamme – les récoltes sont mauvaises. Son histoire est celle d’innombrables agriculteurs à travers la région de Muanda, à l’ouest du pays.
Prise entre la côte atlantique et le bassin du Congo, Moanda aurait tout d’un décor de carte postale si elle n’était criblée de puits de pétrole, de torchères illégales, de dépôts sauvages de boues de forages et autres fuites de brut.
Des faits imputables à Perenco – quasi seul opérateur du pays – via sa filiale locale Perenco Rep, productrice de 25.000 barils de pétrole par jour, à l’heure où la République Démocratique du Congo projette l’ouverture de pas moins de 27 nouvelles concessions d’hydrocarbures supplémentaires, contre trois seulement à l’heure actuelle.
Des sites d’extraction pétrolière sur une aire protégée
Vivre à Muanda, c’est vivre au quotidien avec le rappel constant d’une exploitation pétrolière effrénée sans vraiment en connaître les effets sur la santé et le milieu naturel. Torchage de gaz, fuites d’hydrocarbures, enfouissements de déchets toxiques – les signalements en ce sens ne manquent pas.
De 2007 à aujourd’hui, nous avons pu compter au moins 158 marqueurs d’impact publiés par différentes sources publiques ou partagés de manière anonyme à notre équipe. Malgré un tel faisceau d’indices, aucune étude d’impact sanitaire et environnementale systématique et approfondie n’a encore été publiée à ce jour.
Ces problèmes auraient pu cesser dès 2014, suite à l’adoption d’une réforme congolaise relative à la conservation de la nature et proscrivant toute activité nuisible à la conservation d’une aire protégée. Telles que le sont celles de Perenco Rep, à Muanda.
Ici, l’ensemble des blocs opérés par Perenco en RDC se superpose sur le Parc Marin des Mangrove. Une zone protégée en raison de sa riche biodiversité – mais aussi du rôle crucial que jouent les forêts des mangroves dans la séquestration des émissions de carbone à l’échelle mondiale.
Une réforme du droit de la conservation naturelle congolais de 2014, indique pourtant clairement l’interdiction de “toute activité incompatible avec les objectifs de la conservation” au sein de toute aire protégée, avec pour effet la cessation de tout droit octroyé au sein du bien.
Quant à la question de l’incompatibilité des activités de Perenco au sein de cette zone particulière, c’est l’administration congolaise elle-même qui l’affirme au travers de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature. L’ICCN décrit en effet l’extraction pétrolière comme une “menace directe” pour la biodiversité du Parc Marin des Mangroves sur son site internet.
Comment justifier la présence de la société pétrolière sur cette zone ? “Malgré cette interdiction formelle, il existe une possibilité d’autorisation après une évaluation et un audit environnemental”, rappelle Jennifer Troncoso, directrice de la branche RDC de l’ONG Avocats Sans Frontières (ASF), qui suit le sujet Perenco depuis plusieurs années.
Cependant, aucun de ces documents ne semble disponible – seulement la mention d’un accord entre l’ICCN et la société avait été couvert par la presse locale, sans en restituer toutefois le contenu.
Selon Jennifer Troncoso, une telle superposition demeure “incompatible” avec la présence d’une zone de mangroves : “tant pour les projets en amont (exploration et exploitation d’hydrocarbures) qu’en aval (raffinage, transport et distribution du pétrole)”.
En contrepartie de ces facilitations, Perenco aurait également apporté un soutien financier à l’ICCN pour assurer la protection des forêts des mangroves, selon la presse congolaise. Une pratique que l’ONG dénonce comme du “Charity Business, réalisé en toute opacité et sans dialogue équilibré avec les populations locales, à l’image de l’ensemble de la politique de la société en termes de responsabilité sociale et environnementale”.
“Perenco détruit nos champs”
Dès 2013, un rapport du Sénat congolais recueillait déjà les témoignages d’agriculteurs et de pêcheurs basés à Muanda et mentionnait un “exode forcé” des populations dépendant des terres et des eaux locales. Un phénomène qui persiste à ce jour à travers plusieurs localités situées sur le bloc pétrolier de Perenco, selon des témoignages anonymes que nous avons pu recueillir.
Là encore, la société distribue les remèdes aux maux qu’elle sème – mais les villageois n’en semblent pas satisfaits: “La société nous donne quelques sacs de riz, des haricots, de la sauce tomates… Mais cela reste insuffisant”, confie un habitant de la région souhaitant garder l’anonymat par peur de représailles.
“Muanda était un point focal pour la production d’essences d’arbres. Les anacardiers servaient au jus – mais plus aujourd’hui, Perenco nous dit que l’espèce cultivée n’est plus adaptée à ce milieu, ou que si les cocotiers disparaissent, c’est à cause du réchauffement climatique… On nous parle de la disparition des insectes pollinisateurs. Mais nous ne sommes pas experts“.
Torchage illégal et risques sanitaires
Il pense alors aux torchères et à leurs impacts sur la qualité de l’air. “Nous voyons les morts, les maladies, l’impact sur nos champs. Mais on ne sait pas quantifier et on ignore leurs effets sur nos corps, ni quels peuvent être les dégâts”.
Cet impact sanitaire avait pourtant été documenté à une occasion par un expert local, Célestin Lububa. Ce dernier a établi en 2019 une augmentation des cas de prurit, diarrhées, maladies respiratoires et contaminations au benzène à travers 4 villages de la région de Muanda et directement imputable à l’extraction de pétrole dans la région.
Augmentation des malformations à la naissance et des taux de maladies respiratoires, exposition au benzène chargé dans l’air torché (arôme contenu dans les hydrocarbures et reconnu comme cancérigène) – la liste des risques sanitaires liés au torchage ne fait l’objet d’aucun doute et n’a fait que s’allonger au cours des dernières années à travers le monde.
À l’aide d’un outil développé par l’organisation américaine Skytruth, nous sommes parvenus à identifier près de 58 sources de torchage présentes sur l’ensemble des champs opérés par Perenco entre 2012 et 2021, comme autant de zones à risques parsemant la région de Muanda.
Outre l’impact sanitaire, ces pratiques présentent évidemment un coût environnemental et climatique direct et important, dont les risques sont également connus pour la faune et la flore locales. Ici, le littoral, le Parc Marin des Mangrove, les villes et les villages situés sur ou à proximité des champs Perenco s’exposent à un risque de destruction directe de leurs habitats et de leurs populations animales et végétales.
Le bilan de ces émissions en méthane, lui aussi estimé à l’aide de l’outil de Skytruth, représenterait 2.08 milliards de mètres cubes de gaz torché depuis 2012, soit 3,7 millions de tonnes en équivalent CO2 en appliquant le système de conversion proposé par la Banque Mondiale.
Pour mieux se rendre compte du poids des activités de Perenco dans la région, la seule année 2021 équivaut à l’empreinte carbone annuelle de 21 millions de citoyens congolais sur cette même année, alors que la division administrative entière du Kongo Central n’en recense que près de 6 millions d’habitants, et ceci sur une zone bien plus étendue que ne l’est Muanda.
ASF mentionne que la récupération du méthane torché comme source d’énergie pour les populations avait été proposée comme une solution à ce gâchis énergétique et ce risque environnemental, sans être jamais retenue par Perenco.
Un énorme coût sanitaire, environnemental et économique lié au torchage donc, dont la pratique est pourtant expressément interdite depuis 2015 suite à une nouvelle loi inscrite au Code des Hydrocarbures congolais. Cette loi propose néanmoins des dérogations pour tout torchage considéré comme “occasionnel” – ce qui n’est pas le cas pour Perenco rep, dont le torchage est tout-à-fait régulier depuis 2015.
Ce volet environnemental, sanitaire et climatique n’est pas le seul à imputer à Perenco, en RDC comme dans le reste du monde. Mais sur l’ensemble des informations des sources ouvertes et des témoignages anonymes que nous avons pu vérifier, la région de Muanda et ses villages fait l’objet d’un recensement de plus de 158 faits de pollution mesurés depuis 2007.
Ces faits sont relatifs à divers épisodes de fuites de pétrole brut apparemment courants au niveau des sols, des cours d’eau et de la mer, pour un total minimum connu de 6 fuites de pétrole brut. Ce qui corrobore les témoignages anonymes que nous avons reçus faisant état de fuites et d’épanchements de pétrole brut réguliers.
Des signalements que la branche locale d’ASF assure recevoir régulièrement: “des cas d’écoulement et de débordement de pétrole brut dans les champs, les pâtures et les rivières ont souvent été constatés. La gestion des déchets et des eaux usées est souvent pensée sans recours à des solutions durables et structurelles”
Dans l’une des localités les plus concernées par ces signalements, dans le village de Kinkazi, on y trouve notamment des signalements entre autre de dépôts sauvages de boues de forage toxique mélangées au ciment puis enfouies à l’aide de tractopelles voire même étalées à même le sol.
Des faits aussi signalés dans la localité de Nsiamfumu, et pouvant conduire à une contamination des sols lors des pluies, où toutes les substances toxiques comprises dans les boues de forages et les résidus d’hydrocarbures, y compris des métaux lourds, se mélangent et s’infiltrent alors dans les sols et dans les eaux, pouvant constituer une source majeure de pollution.
Autant d’éléments qui ont poussé les ONG Sherpa et Les Amis de la Terre France a lancé une procédure contre Perenco auprès du tribunal de Grande instance de Paris le 9 novembre dernier pour “préjudice écologique”, une première en France.
Aujourd’hui, ce ne sont d’ailleurs pas seulement les volets environnementaux et climatiques de l’activité de Perenco qui intéressent les juges, les journalistes et les militants, mais aussi les volets sociaux et financiers, sur lesquels nous reviendrons dans un prochain chapitre.
Alexandre Brutelle, Dorian Cabrol, Léa Szulewicz et Baron Nkoy (Environmental Investigative Forum)
Cette enquête a été produite grâce au soutien du journalismfund.eu