Sur 7 800 Km2 s’étend le plus grand parc d’Afrique, créé en 1925. C’est le Parc national des Virunga qui tire son nom d’une chaine des montagnes, dont les deux volcans les plus actifs au monde, le Nyiragongo et le Nyamulagira.
Ma dernière visite dans ce parc situé dans la province du Nord-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo, m’a permis de me faire une idée sur les efforts de transformation d’un patrimoine naturel en un pôle économique.
Innover dans un contexte d’extrême pauvreté
Tout est parti d’un constat amer fait en 2007. Lorsque les communautés locales vivant dans et autour de ce site du patrimoine mondial de l’UNESCO, à qui toute activité dans le parc est interdite, ont commencé à abattre les gorilles de montagne, l’espèce emblématique de ce parc. Question de manifester leur ras-le-bol aux efforts de conservation.
« La réduction de la pauvreté était la question primordiale que l’on n’avait pas prise en compte dans notre façon de travailler », nous affirme le directeur chef de site des Virunga, Emmanuel de Merode.
Ainsi, pour pallier à cette situation qui devenait de plus en plus inquiétante, l’ICCN (Institut congolais pour la Conservation de la Nature), a imaginé une astuce magique, « créer le développement autour du parc ».
En 2013, le parc a lancé l’Alliance Virunga, un mécanisme qui réunit autour d’une vision partagée les autorités publiques, la société civile et le secteur privé du Nord-Kivu. Cette alliance a comme objectifs, la conservation des ressources naturelles, la réduction de la pauvreté et la promotion de la paix.
Avec ce partenariat, des projets et programmes en faveur du développement ont commencé à voir le jour. Avec à la clé, compenser les efforts de conservation des communautés locales. C’est pratiquement l’histoire d’un gorille qui paie sa dette pour vivre en paix avec l’humain.
3 centrales électriques voient le jour
Avec une puissance installée estimée à 32 méga watt, le parc national des Virunga est l’unique en Afrique et dans le monde qui fournit de l’électricité propre, et promeut un entreprenariat des jeunes. Les conditions sont donc créées pour produire 1 milliards de dollars américains, d’activités économiques durable. Un véritable défi que se lance l’Alliance Virunga.
A ce jour, près 500 km de réseau a été construit, de quoi alimenter près de 20.000 clients, dans les villages, cités et localités autour du parc, avec un fort déploiement sur la ville de Goma, où Virunga Energies entend couvrir d’ici 2022, le 40% des ménages situés dans le chef-lieu de la province du nord Kivu.
Si à Kinshasa le courant électrique n’inspire pas assez des jeunes à l’entreprenariat, dans les Virunga, cette ressource est une motivation de plus de devenir patron de sa propre entreprise.
A Kiwanja, je rencontre Martin Semuvumi, trentaine révolue, ce jeune homme est à la tête d’une petite entreprise du nom de RUSA, qui a en son sein une savonnerie et une micro huilerie.
« Nous produisons l’huile du tournesol pur. Notre matière première c’est le tournesol que nous achetons dans les villages environnants, notamment Kanyabayonga, et Busanza. La population ici apprécient beaucoup nos produits », nous informe-t-il.
Martin nous amène dans un hangar, où il nous fait visiter sa presse à huiles fabriqué localement. Cet engin a la capacité d’extraire 24 sacs de graines de tournesol par jour. Ce qui fait de RUSA la première productrice de l’huile du tournesol pur, sans cholestérol. Une huile très prisée dans la région.
« Sans électricité c’est difficile de fonctionner. C’est grâce à Virunga que nous réussissons à entreprendre. Virunga a changé notre conception de la conservation de la nature, il nous a octroyé des crédits pour soutenir notre business », précise-t-il.
Comme lui, Trésor Ruviri a mis en place Amaya Foods Compagny, une petite minoterie avec une capacité de production estimée à plus de 60 sacs de semoule de mais par jour. De quoi nourrir ses grandes ambitions de devenir l’un des plus grands fournisseurs de la province.
« C’est depuis 2019 que j’entreprends ici. Ici chez nous les agriculteurs produisent beaucoup de maïs, mais ils ont du mal à le couler sur le marché, voilà pourquoi je me suis lancé dans la transformation. Nos produits sont distribués ici à Rutshuru et dans la cité de Kiwanja. N’eut été Virunga, je n’aurais pas rêvé avoir cette unité de transformation », affirme Trésor.
Des millions de dollars d’investissement dans les PME
Malgré le climat d’insécurité qui règne dans le territoire de Rutshuru, l’Alliance Virunga appuie la création d’entreprises pour générer des emplois et augmenter les revenus dans la périphérie du parc. Un dispositif est en place pour aider les entrepreneurs locaux à accéder aux ressources financières que les banques refusent habituellement de leur accorder.
« Le bénéficiaire peut contracter un emprunt qu’il rembourse à chaque achat d’électricité moyennant une majoration du prix du kWh. Il n’est ainsi pas obligé de payer un montant fixe à la fin du mois et peut rembourser son emprunt quand il gagne de l’argent », nous affirme Josué Duha, directeur commercial de Virunga Energies.
Une dynamique en voie de consolidation
Fin 2019, 158 entrepreneurs locaux ont bénéficié de cet appui. Les prêts financent toutes sortes d’équipements : moulins, séchoirs, frigos, couveuses, fours, outils de menuiserie, postes à soudure, presses à huile, blocs ciment, équipements électroniques, etc. Les entreprises plus importantes investissent aussi dans des travaux d’infrastructure.
Toute cette stratégie permet de désintéresser les jeunes des activités des groupes armés qui menacent gravement la sécurité des paisibles citoyens, freinant ainsi l’élan d’un développement intégré des communautés.
Grâce aux emplois créés par le développement de l’électricité dans ce parc, environ 11% de jeunes qui appartenaient autrefois à des mouvements subversifs ont pu quitter les groupes armés et trouvé du travail dans la société.
La suite de ma vie dans le Virunga c’est dans la prochaine livraison.
Alfredo Prince NTUMBA, de retour des Virunga.