En République démocratique du Congo, l’accaparement des terres reste l’une des causes de conflits fonciers entre les communautés elles-mêmes et parfois entre les communautés et les industriels qui y exploitent. Ces conflits latents finissent souvent par dégénérer. Dans le secteur de Dwali, Territoire d’Ingende dans la province de l’Equateur, près de 17 villages sont sérieusement en conflit qui les opposent à l’entreprise PHC Boteka (Plantation des Huileries du Congo). Si certains d’entre ces villages gardent encore le peu de leurs terres ancestrales, d’autres par ailleurs, assistent impuissamment à la disparition quasi-totale de leur héritage à cause de l’expansion de ladite plantation installée le long de la Rivière Ruki.
- Après plusieurs conflits fonciers, l’entreprise avait résolu de donner du travail aux habitants de ces différents villages. Quelques années après, la précarité et la malnutrition ont élu domicile dans ces villages. Menacées par l’insécurité alimentaire à la suite du manque des terres, les communautés ne savent plus à quel saint se vouer. Nous avons résolu de plonger au cœur du scandale d’un multinational qui a imposé ses lois au détriment d’un bien-être collectif, sous un regard discret des autorités du pays.
Après plus de 10 heures de route à bord d’une moto, nous arrivons au village Loonga Moke. Ce village d’environ six cents personnes subit de plein fouet les effets de l’accaparement de ses terres transformées en palmeraie.
Nous y sommes accueillis par Jean-Louis Bosolo. Soixantaine révolue, Jean-Louis est le chef du village. Il se souvient encore des beaux temps passés dans son jeune âge quand cette plantation était encore une forêt vierge, où lui et ses parents pratiquaient la chasse et la cueillette. «Notre forêt commençait ici. C’était plus de cinq cents hectares que mes ancêtres avaient laissés», nous déclare-t-il d’un air triste.
Après quelques années de travail comme planteur à la PHC-Boteka, tenue actuellement par la firme canadienne Feronia, Jean-Louis Bosolo est aujourd’hui au chômage. Une situation qui ne lui permet plus de tenir les deux bouts du mois, surtout que son village ne dispose plus des terres pour l’agriculture, ni des forêts pour la chasse.
«Les conventions qui ont existé depuis nos ancêtres ne prenaient pas en compte nos droits. C’est ce qui est à la base de plusieurs conflits et de notre manque de travail. Aujourd’hui, malgré que le concessionnaire nous a reconnu dans certains projets élaborés lors de la mise en place de la clause sociale. Mais hélas, il n’y a aucun respect de cette convention et nous ne comprenons plus rien», s’indigne-t-il.
A quelques encablures du village, nous rencontrons Junior Bokale. Il est né et vit ici depuis plus de quarante ans. C’est un autochtone. Il nous relate les réalités du vécu des villageois de Loonga Moke.
«Quand j’ai grandi, ce village n’avait pas plus de 200 personnes. Aujourd’hui nous sommes au-delà de 600 personnes, parce que la société a fait appel aux travailleurs venus d’ailleurs, avec toutes les conséquences sur nos terres», nous informe-t-il.
Pour lui, la démographie galopante qu’a connu son village est l’un des facteurs déterminants dans les conflits récurrents qui sévissent dans son village.
«Nous connaissons une forte croissance démographique. Il y a des communautés entières chassées de leurs villages par l’entreprise qui sont venues s’installer ici. Il y en a d’autres qui ont été recrutés par la compagnie dans d’autres villages et qui après leur travail se sont installés également ici. Coutumièrement, tous ces gens n’ont pas de droits à notre terre. Mais ils nous menacent parfois et prennent nos terres de force», se plaint Junior Bokale.
Nostalgique, Junior Bokale nous amène à environ 1km du village pour nous montrer les lieux où se trouvait les étangs dans lesquels ils venaient pêcher lui et ses frères, il y a encore quelques années. Aujourd’hui, ce sont des palmiers à huile qui y ont pris place sur ces espaces marécageux.
Outre l’insécurité alimentaire et les conflits fonciers, les différents villages dans et autour de la plantation de PHC Boteka, subissent un traitement défavorable leur imposé par la firme canadienne Feronia.
Les communautés dénoncent les arrestations arbitraires, les violations graves de leurs droits, la destruction méchante des forêts protégées voir des zones à haute valeur en biodiversité qui autrefois, leur servaient de source de protéine d’origine animale.
Rareté des produits forestiers non ligneux
Les activités agro-industrielles sont considérées comme des moteurs commerciaux de déforestation. Elles sont également des facteurs principaux de déforestation dans le bassin du Congo. La RDC n’est pas épargnée de cette réalité.
Cette déforestation à grande échelle est à la base de changements climatiques observés par les communautés. Cela affecte particulièrement les femmes à cause de la disparition des certains produits forestiers non ligneux qui constituaient leur principale source de revenu.
Nous allons cette fois à la rencontre de Koli Eyandja Eunice, habitante du village Boteka, où est installé le siège de l’entreprise Feronia. Elle affirme que l’arrivée de la société a apporté plusieurs difficultés dans leur façon de vivre.
«Auparavant nous ramassions des chenilles, des champignons dans la forêt pour vendre et c’était rentable. Cela nous permettait de nous occuper de nos enfants, de les scolariser mais aussi de les nourrir. A cause de la plantation, les arbres à chenilles, fruitiers et médicinales ont disparu, il n’y a plus de ressources à exploiter», a-t-elle précisé.
L’économie des paysans a basculé
Plusieurs chercheurs se conviennent que l’utilisation non durable des ressources forestières par les agro-industriels constitue aussi l’un des facteurs clé de l’appauvrissement des communautés locales. La vie de ces populations dépend entièrement de la forêt, la déforestation liée aux activités agro industrielles change littéralement le train de vie de plusieurs générations, mais aussi modifie une culture existante.
«Selon notre histoire, nous étions à l’époque dans la cité de Boteka, après nous sommes allé à Loonga, ensuite dans une autre île puis enfin ici dans ce village de Loonga Moke, tous ces déplacements étaient causés par la quête des espaces pour travailler. Arriver ici de part et d’autre nous sommes entourés des eaux, lors de la montée des eaux et des pluies on ne peut pas planter n’est fût ce que du pondu ou les bananiers au risque de tout perdre», a détaillé Léon Bonkile. Et, de préciser, «la société n’est pas du tout mauvaise, mais seulement elle ne respecte aucune loi pour que nous vivons en paix entre nous. Nos femmes qui y travaillent ne sont pas rémunérées comme il se doit, les travailleurs sont moins sécurisés, nous sommes tout le temps brutalisés par des surveillants de la plantation, nous voulons juste une amélioration des choses».
«Nous avions à l’époque une forêt vierge qui nous permettait de subvenir à plusieurs de nos besoins alimentaires et sanitaires. La société a coupé et planté les palmiers. Nous avions pensé qu’on serait alors les premières bénéficiaires de cette plantation malheureusement même pour trouver l’huile de palme pour la cuisson ici au village c’est tout un problème. La société produit de l’huile pour vendre à Kinshasa», a fait savoir le notable du groupement Monkoso, Godard Bamala Ilakankoy.
Tout est faux !
Nous décidons cette fois-ci, de contacter la firme canadienne Feronia, qui nous reçoit après plusieurs tentatives et nous renvoie vers sa direction générale à Kinshasa. Une fois dans la capitale congolaise, les informations récoltées auprès de la société à travers une correspondance mail, nous révèlent que le groupe Unilever s’est installé dans le Territoire d’Ingende en 1911 et la plantation s’appelait Flandria à cette époque.
En 2009, lorsque Feronia a acquis d’Unilever la participation majoritaire dans PHC, elle possédait une superficie de 6 066 hectares et seulement 3 668 hectares sont occupés pour la plantation de palmiers à huile. La société Feronia s’est engagée à reconstruire l’entreprise de manière durable, en ne plantant que sur les zones ayant déjà été plantées auparavant par Unilever il n’y avait donc pas d’expropriation de terres ni de déforestation.
Accusé d’avoir exproprié certaines communautés de leurs terres, Feronia est loin d’exploiter toute la superficie des concessions pour lesquelles elle a des droits emphytéotiques, Selon les confirmations de son directeur de communication, Monsieur Paul Dulieu.
«Nous rejetons fermement cette accusation. À Boteka, par exemple, environ 60% de la concession est plantée de palmiers à huile ou dispose d’infrastructures, de routes, etc. Les 40% restants sont inutilisés et sont principalement des forêts ou des zones de jachères agricoles utilisées par les populations locales à qui nous laissons le libre droit de jouissance», indique-t-il dans son mail.
Dialogue avec les communautés
A en croire les autorités de la firme canadienne, Feronia est en dialogue continu avec les communautés locales de sa zone d’influence. A Boteka, l’entreprise considère que les relations sont assez bonnes. La société s’engage à continuer de travailler avec les communautés et leurs représentants pour s’assurer que ses opérations en cours dans la région offrent des opportunités et profitent à ses travailleurs, à leurs familles et à la communauté au sens large.
“Globalement les relations sont bonnes et plusieurs initiatives ont eu lieu afin de renforcer nos relations telles que la mise en place des clauses sociales, de certains projets de développement, et les mécanismes de gestion de plainte”, a précisé Monsieur Dulieu. «La Société a un engagement clairement défini à reconstruire de manière durable et responsable. Feronia s’engage à travailler avec tous ses partenaires, y compris les leaders communautaires et les ONG, pour trouver une solution satisfaisante là où de véritables problèmes existent».
La plupart des conflits entre les communautés et PHC tournent autour des limites, selon les rapport des organisations de la société civile de l’Équateur. Depuis la création de cette concession, il y a eu quatre fois la révision des titres.
La première fois c’était en 1947, après en 1985, ensuite en 1990 et enfin en 2015. A chaque fois que cela était fait, PHC profitait pour étendre ses limites dans les terres des communautés. Ce qui est à la base de cette perte d’espaces.
A cet effet, il est donc évident que les communautés locales concernées souffrent de la défaillance des services étatiques qui ne veillent pas au respect des normes et règlements en la matière. Il est donc important que toutes les parties prenantes s’impliquent (le gouvernement, la société et les communautés elles-mêmes) pour aider à l’amélioration des pratiques qui constituent un danger pour l’équilibre climatique et la survie des communautés locales.
Jenniffer LABARRE
Ce reportage a été réaisé grâce àl’appui financier de Rainforest Journalism Fund en partenariat avec le Centre Pulitzer.