La proposition de loi portant protection et reconnaissance de droits des peuples autochtones a été votée, le vendredi 05 juin 2020, par les députés lors d’une plénière de l’Assemblée nationale en RDC. Les élus ont, à l’unanimité votée pour la recevabilité de ce projet de loi qui pourrait promouvoir le droit de cette catégorie des personnes longtemps émargée de la société congolaise. 8 ans durant, jour pour jour, la Dynamique des groupes de peuples autochtones (DGPA) a mené un plaidoyer de haut niveau, pour faire passer la loi portant principes fondamentaux relatifs à la protection des peuples autochtones pygmées.
La recevabilité de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale est un pas vers l’aboutissement d’une lutte menée sans faille, par la plupart d’Organisations nationale et internationale, pour rendre la dignité à ces peuples millénaires.
Dans cette tribune, nous voudrions démontrer les externalités positives d’une telle loi, une fois promulguée. De fil en aiguille, notre analyse insiste sur l’impact de cette loi sur le développement des droits humains et son importance dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique dans le but d’accompagner l’émancipation de ces peuples, longtemps marginalisés.
Sur les 370 millions d’autochtones répartis dans 90 pays à travers toutes les régions du monde, 5% de la population mondiale, la RDC régorge près de 600.000 et 700 000 habitants en RDC. Ils sont membres de groupes ethniques, notamment : Batoa, Balumbe, Bilangi, Bafonto Samalia, Bone Bayeki, Batsa, Bamone, Bakengele, Bambuti, Baka, Efe, Bambeleketi, Bashimbi (Bashimbe), Bamboté, Bakalanga, Batwa (Batswa), Bayanda, Babuluku, Banwa, Aka et Bambenga, Mbuti, Twa et Cwa.
Connus collectivement sous le nom de Pygmées, ils sont de descendants de chasseurs-cueilleurs qui ont vécu dans les forêts du bassin du Congo pendant des milliers d’années, avant l’arrivée d’agriculteurs bantous. Les Pygmées vivaient souvent en petits et mobiles groupes sociaux peu hiérarchisés.
Au cours des siècles, ils ont développé une excellente connaissance du bassin du Congo et de ses ressources naturelles. Aujourd’hui, certains des Pygmées de la RDC vivent en partie comme chasseurs-cueilleurs, et font du commerce avec les agriculteurs bantous. D’autres ont été expulsées des forêts et vivent désormais en marge de la société congolaise.
Sur les 7000 langues recensées dans le monde aujourd’hui, 4000 sont parlées par les peuples autochtones. Les spécialistes des langues prédisent que jusqu’à 90% des langues du monde risquent de disparaître ou sont menacées d’ici à la fin du siècle.
De plus en plus, les peuples autochtones exigent une plus grande reconnaissance de leurs droits. Cela remonte en 1923, lorsque le chef Cayuga Deskaheh de la nation iroquoise s’est rendu à la Société des Nations pour faire valoir les droits de son peuple. Ainsi, les peuples autochtones ont continué à coopérer avec la communauté internationale. Cela a donné lieu à un certain nombre de réalisations au niveau institutionnel (Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et le Mécanisme d’experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones) et au niveau normatif, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de septembre 2007.
L’adoption de cette Déclaration en 2007 a été le point culminant de plus de 20 années d’efforts et de négociations intenses, réalisé grâce à la solidarité et aux partenariats étroits entre les peuples autochtones et les gouvernements, les ONG, les universitaires, les parlementaires et d’autres parties concernées.
Quels sont les droits des peuples autochtones contenus dans cette proposition de loi ?
Les droits des peuples autochtones énoncés dans la Déclaration des Nations Unies de 2007 reflètent la nature et l’existence distinctes des peuples autochtones et rejettent les approches précédentes visant à « assimiler » les peuples autochtones dans le grand public. Une politique qui est maintenant reconnue comme un facteur majeur de la perte de l’identité autochtone. Il y a une reconnaissance explicite des droits collectifs dans cette proposition de loi de 2020, notamment dans les articles du dispositif. Chose qui reflète l’importance primordiale des droits collectifs pour la protection de la culture, de l’identité et de l’existence des peuples autochtones.
Du droit à l’auto-détermination
En son article 3, la proposition de loi énonce que les peuples autochtones pygmées ont le droit de jouir pleinement, à titre individuel ou collectif, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par la Constitution de la RDC et par les instruments juridiques régionaux et internationaux que l’Etat a ratifiés. Avant de stipuler qu’ils sont « libres et égaux en dignité et en droit en tant que citoyens congolais ». Toute forme de discrimination ainsi à « l’égard des peuples autochtones pygmées ou toute utilisation péjorative du terme pygmée étant interdite », conformément à la présente proposition de loi.
Du droit de participer à la prise de décisions
Une préoccupation majeure des peuples autochtones est que les gouvernements continuent de prendre des décisions qui les concernent sans les impliquer. La Déclaration des Nations Unies de 2007 précise donc les normes internationales relatives au droit de participer à la prise de décisions sur un large éventail de questions qui affectent la vie des peuples autochtones. L’article 18 de la Déclaration des Nations Unies dispose que : « Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures […]. » La distinction entre les sphères interne et externe de la prise de décisions se reflète également dans l’article 5 de la Déclaration des Nations Unies qui dispose que : « Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’État. ».
A cet égard, les dispositions 9 à 21 accordent de droits civils et politiques aux peuples autochtones. Tout en assurant leur promotion et protection.
Droits aux terres, cultures, territoires et ressources
Comme indiqué plus haut, il y a un nombre croissant de situations impliquant des troubles sociaux et des conflits autour de l’utilisation des terres, des territoires et des ressources naturelles chez les peuples autochtones, notamment à Maï-ndombe, Ituri, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Tanganyika et Equateur en RDC. Certains troubles sociaux entre les peuples autochtones, l’État et les entreprises sont dus à l’exploitation forestière et d’autres ressources naturelles comme on le voit au Tanganyika et Equateur. Dans d’autres cas, l’enregistrement des zones forestières où résident les peuples autochtones a donné lieu à de graves perturbations, les peuples autochtones faisant souvent face à la violence de l’État et à celle d’acteurs non étatiques. C’est ainsi que les articles 24 à 33 de cette proposition de loi, ont reconnu ces droits y compris les droits culturels.
Ratios sur les droits humains et la lutte contre les changements climatiques en RDC
L’adoption et la promulgation de cette loi par le Chef de l’Etat, son Excellence Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo augmenterait le crédit et la notoriété de la RDC auprès des institutions nationales et internationales en matière de droits de l’homme et dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques.
Sur le plan de droits humains
Le vote de cette loi aurait une parfaite résonance dans les instances internationales de droits de l’homme. En attendant sa promulgation par le Chef de l’Etat, il y a une nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones. En outre, les peuples autochtones sont libres et égaux comme tous les autres et ont le droit de ne faire l’objet d’aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtone conformément aux dispositions de la Déclaration de 2007.
Quand il s’agit de protéger et de promouvoir les droits des peuples autochtones, l’Assemblée nationale vient de jouer sa partition par le vote de la proposition de loi. Les dispositions ci-haut indiquées constituent un éventail de droits ayant un impact immédiat et une incidence sur la vie des peuples autochtones.
Dans ce contexte, il importe d’aborder l’importance de sa promulgation et de la ratification des traités internationaux des droits de l’homme. Etant donné que les droits des peuples autochtones énoncés dans la Déclaration de 2007 et cette proposition de loi reflètent bien, les droits existants affirmés dans le droit international des droits de l’homme, maintenant inscrits dans le contexte des réalités des peuples autochtones en RDC. Ainsi, le vote de cette proposition en juin 2020 ouvre la brèche à un plaidoyer pour la mise en œuvre des instruments juridiques internationaux sur le plan interne concernant les peuples autochtones, à l’instar de la Convention n°169 de l’OIT.
Dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques
Les activités économiques, sociales et culturelles des peuples autochtones dépendent de ressources naturelles renouvelables extrêmement sensibles à la variabilité du climat et aux phénomènes météorologiques extrêmes. De plus, l’utilisation durable et productive des ressources naturelles est un facteur essentiel pour une croissance verte et joue un rôle d’importance vitale dans la lutte contre le dérèglement climatique.
En RDC, les peuples autochtones jouent par conséquent, un rôle particulier tant dans la conservation des ressources que dans la préservation de l’environnement et de la biodiversité : deux aspects clés de la lutte contre le dérèglement climatique. Vivant dans des régions géographiques et des écosystèmes qui sont très exposés aux conséquences de l’évolution du climat, les forêts tropicales humides et les hautes montagnes de la RDC où les changements climatiques ont des conséquences considérables sur les écosystèmes qui fournissent leurs moyens.
En outre, dans le cadre du processus de réduction des émissions dues à la déforestation et dégradation des forêts (REDD+) lancée en 2009 en RDC, les moyens d’existence mais aussi les cultures et les modes de vie des peuples autochtones sont pris en compte dans les sauvegardes socio-environnementales et les paiements pour services environnementaux. Ces mesures doivent encourager donc les peuples autochtones à être des acteurs majeurs de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette proposition de loi viendrait donc encadrer leur participation à la REDD+ et garantirait enfin la justice climatique tant souhaitée à l’égard de ces peuples.
Par Alain Parfait Ngulungu & Patrick Saidi