L’évasion de lions d’une ferme privée à Lubumbashi met en lumière la complexité de la création et de la gestion d’aires protégées par des entités privées en République démocratique du Congo. Bien que l’exécutif provincial du Haut-Katanga ait publié deux communiqués, l’un concernant l’évasion et l’autre la capture et le retour des félins à la ferme Benjin, la situation exige une attention particulière et une approche juridique appropriée afin de prévenir de futurs incidents. Dans une tribune publiée ce lundi et transmise à la rédaction d’Environews RDC, Félix Likakako, coordinateur de JUREC (Juristes pour l’environnement au Congo), présente une analyse approfondie et formule des recommandations pertinentes à ce sujet. Nous vous invitons à découvrir sa réflexion ci-dessous.
Dans un communiqué officiel daté du 24 mai 2024, le Maire de la ville de Lubumbashi, province du Haut-Katanga a informé la population de sa juridiction que deux lions se sont échappés de la ferme Benjin et sont actuellement en cavale, appelant ainsi sa population à la grande vigilance. Un jour plus tard, le Cabinet du Gouverneur de la même province a annoncé que ces lions en cavale étaient neutralisés et capturés.
Si ce deuxième communiqué de l’exécutif provincial a mis fin à la psychose de la population de cette province causée par cette présence de ces fauves dans la ville de Lubumbashi, cette situation remet sur le tapis l’épineuse question de la création et la gestion des aires protégées les personnes physiques ou morales privées en RDC, notamment les parcs animaliers.
Les innovations apportées par la loi n°14/003 relative à la conservation de la nature telle que modifiée en 2024 devraient constituer une réponse efficace aux défis actuels liés à la légalité qui entache la procédure de création et de gestion de ces aires protégées en RDC.
Questions de droit
Statut juridique de ces fermes ou parcs animalier en droit congolais
Une aire protégée est considérée par la loi comme étant un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services des écosystèmes et les valeurs culturelles qui lui sont associées.
En effet, la loi sur la conservation de la RDC cite clairement les aires protégées (art.31), en ce qu’elles comprennent : les réserves naturelles intégrales, les parcs nationaux, les monuments naturels, les aires de gestion des habitats ou des espèces, les réserves de biosphère, les paysages terrestres ou marins protégés, les jardins zoologiques et botaniques, les domaines et réserves de chasse, les aires protégées à vocation de réserve communautaire, toute autre catégorie que des lois particulières et règlements désignent comme telles en vue de la conservation des espèces de faune et de flore, du sol, des eaux, des montagnes ou d’autres habitats naturels.
Dans cette énumération, la loi ne cite pas expressément « les parcs animaliers » ou les « fermes » comme étant des aires protégées. Devant cette omission du législateur, doit-on imaginer que cette catégorie (parcs animaliers, fermes, etc.), s’il en est une, ferait partie de « toute autre catégorie » tel qu’énoncé par la loi ?
Même alors, le même article renvoie à un Décret du 1er Ministre délibéré en Conseil des ministres qui devrait déterminer les objectifs de conservation pour chaque catégorie d’aire protégée. Ce décret serait une bonne opportunité de clarifier la situation juridique des parcs animaliers en RDC, en définissant leurs objectifs de conservation.
Par ailleurs, si la loi relative à la conservation de la nature ne définit ni ne fixe les conditions de création d’une aire protégée par une personne physique ou morale privée, elle se limite par ailleurs à indiquer que la création d’une aire protégée est de la compétence de l’Etat et de la province qui peuvent, dans les limites de leurs compétences respectives, la concéder à une personne physique ou morale privée et d’en énoncer le principe de sa gestion en ce que « la gestion des aires protégées créées par une personne physique ou morale privée est faite sous la surveillance de l’organisme public visé à l’article 36 de la présente loi » (art. 39 al.1).
Et même alors, la loi sous examen prévoit que les conditions et modalités de surveillance d’une telle aire protégée, différente des autres, soient définies par un Arrêté du Ministre ayant la conservation de la nature dans ses attributions. Il est donc important que le Ministre de l’Environnement, ayant la gestion des aires protégées dans ses attributions prenne un tel arrêté pour permettre à l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), organisme public visé à l’article 36 susmentionné, de jouer un rôle actif dans la surveillance des aires protégées crées par des privés, notamment des parcs animaliers.
Ces conditions de surveillance et même de suivi devraient se réaliser au moyen d’un accord ou d’une convention qui devrait être conclu entre l’ICCN et le responsable de l’aire protégée privée, et devrait obtenir le visa du Ministre ayant la conservation de la nature dans ses attributions, étant donné qu’il demeure responsable du département des aires protégées.
Situation juridique des animaux se trouvant dans ces parcs animaliers
Selon la Loi n° 14/003 du 11 février 2014 relative à la Conservation de la Nature, les espèces de faune sauvages sont protégées à tous les stades de leur cycle biologique. Et donc les lions en divagation dans la ville de Lubumbashi en dates du 24 au 25 mai 2025 bénéficient d’un statut particulier de protection légale.
La loi sur la chasse relève dans ce cas que, « toute personne peut se servir de tout moyen de défense contre les animaux sauvages qui, sans avoir été provoqué de quelque manière que ce soit, menacent directement sa vie ou ses biens, la vie ou les biens d’autrui ».
Cette protection légale ne soustrait pas son ou ses propriétaires de la responsabilité en cas de dommage à autrui. Ce qui revient à dire que, si par malheur ces lions arrivaient à causer dommage à autrui, les règles générales et spécifiques de responsabilité civile devraient s’appliquer, selon les cas.
D’abord, si la ferme ne détient uniquement que le statut juridique d’une société privée, elle engagerait sa responsabilité civile au sens du code congolais des obligations. En RDC, la responsabilité du fait des animaux est régie par le Code des Obligations et vise à protéger les personnes des dommages causés par ces derniers. Les propriétaires d’animaux, ou ceux qui s’en servent, sont responsables des dommages causés par ces animaux, que ces derniers soient sous leur garde, égarés ou échappés
Selon la loi, « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal il causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ». Si bien qu’il faut préciser que la responsabilité pour les dommages causés par des animaux sauvages est généralement régie par des règles spécifiques et peut dépendre de la nature de l’animal et des circonstances de l’incident.
Ensuite, si la ferme avait le statut d’une aire protégée créée par une personne physique ou morale privée, cette règle de responsabilité ne serait pas la même. Dans la mesure où, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) engagerait sa responsabilité professionnelle pour défaut de surveillance tel que décrit à l’article 39 de la loi sur la conservation.
Aussi, ne devons pas extirper le Ministère de l’Environnement et Développement Durable, à travers sa Direction de Conservation de la Nature (DCN) qui a la mission de la gestion de la biodiversité ex situ ou en dehors des aires protégées.
Et parce que les aires protégées, qui sont réellement des forêts classées, constituent la propriété de l’Etat au sens de la loi, qui en exerce une souveraineté permanente, il est tout évident que l’Etat congolais engage sa responsabilité en cas de dommage qui se serait causé par fait de la cavale de ces fauves ; dans la mesure où il n’aurait pas pris des mesures nécessaires au niveau centrale et provincial pour la protection de ces espèces et leur surveillance.
Les constats
En dépit des efforts louables du Gouvernement congolais de renforcer les mécanismes de création des aires protégées, de leur gestion et de leur surveillance, l’absence des mesures règlementaires devant notamment gouverner les parcs animaliers en RDC comme aires protégées privées nécessite une action imminente. Car l’absence d’un cadre juridique spécifique lié à la création des aires protégées par les personnes physiques ou personnes morales privées ne permet pas à l’Etat de mieux suivre ce secteur et ne garantit pas une gestion saine des espèces protégées et une sécurité de la population avoisinante.
Et à ce stade, l’absence d’un cadre juridique n’aura pas d’incidence sur le fonctionnement de ces parcs animaliers existants. Il est donc du devoir de l’Etat de prendre rapidement des mesures règlementaires pour encadrer ce secteur florissant dont l’impact sur le plan social, environnemental et économique n’est plus à démontrer. Cela permettra également à l’ICCN de bien suivre leurs activités.
Règlementer les aires protégées privées aura également une incidence dans le développement des marchés carbone au cas où ces aires protégées s’engageaient dans le marché des crédits carbone forestiers ou des crédits de biodiversité.
Les recommandations
Face à ces énormes défis, nous pensons qu’il est important :
- Pour le Premier Ministre de la RDC, de prendre le Décret définissant les catégories d’aires protégées dont la création peut être concédée à une personne physique ou morale privée (conformément à l’article 23 al.3 de la loi relative à la conservation) ;
- Pour le Ministre d’Etat en charge de l‘Environnement et Développement Durable, de prendre l’Arrêté fixant les conditions et modalités de surveillance des aires protégées créées par une personne physique ou morale privée, conformément à l’article 39 de la loi relative à la conservation ;
- Pour l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) préparer les drafts de Décret et Arrêté sus visés afin de les soumettre à la discussion de l’ensemble de parties prenantes et à la signature par les autorités compétentes, et d’inventorier différentes fermes et parcs animaliers et de vérifier les conditions de vie et de traitement des espèces de faune protégées ;
- Pour les organisations de la société civile, de mener les plaidoyers pour l’adoption du Décret et de l’Arrêté décrits ci-dessus.
Me Felix Credo LILAKAKO MALIKUKA,
Expert en droit de l’environnement et des ressources naturelles