Depuis la reprise des hostilités en janvier 2025, marquée par l’avancée du groupe rebelle M23 et la prise de villes stratégiques comme Goma et Bukavu, l’insécurité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) s’est considérablement aggravée. Cette instabilité, bien au-delà des lignes de front, touche directement les défenseurs des droits humains et de l’environnement, pris en étau entre menaces, exils forcés et pressions invisibles.
Alors que les combats opposent les Forces armées congolaises (FARDC) à l’alliance M23/AFC, soutenue selon Kinshasa par le Rwanda, les violences s’accompagnent d’un pillage accru des ressources naturelles. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 3 000 personnes ont perdu la vie, et près de 400 000 ont été déplacées — un chiffre sans doute largement sous-estimé. Dans les camps de fortune de Goma, des milliers de familles vivent dans des conditions humanitaires dramatiques. Et dans ce chaos, les militants écologistes, eux, sont contraints au silence ou à la clandestinité.
À Goma, des dizaines de camps ont vu le jour pour accueillir des milliers de déplacés vivant dans des conditions extrêmement précaires. Face à la montée des exactions, de nombreux défenseurs des droits humains et de l’environnement ont été contraints de fuir ou de se cacher.
« Nous avons peur, parce que les rebelles ont promis de tuer tous les défenseurs des droits de l’homme qui dénoncent les abus qu’ils ont commis dans les villages qu’ils occupent », témoigne un activiste qui s’est confié à Mongabay. « À Masisi, nous avons rapporté des violences sexuelles, du travail forcé, des taxes illégales… Quand Goma est tombée, ceux qui ont pu fuir l’ont fait. Les autres vivent cachés. »
Et d’ajouter : « D’une part, la ville connaît actuellement une prolifération d’armes, et d’autre part, la présence de bandits de grand chemins qui se sont évadés de la prison. Cette situation a plongé Goma dans un état d’insécurité caractérisé par des assassinats, principalement de défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement, ainsi que de leaders communautaires », explique-t-il.
Sanctuaires écologiques sur le fil du rasoir
Le Nord et le Sud-Kivu, épicentres des combats, sont aussi des zones à haute valeur écologique. Ces provinces abritent des espèces menacées comme les gorilles de montagne et deux parcs nationaux inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO : Virunga et Kahuzi-Biega. Ces aires protégées avaient souvent servi de refuge ou de base logistique pour des groupes armés. Le principal camp d’entraînement du M23 est situé à Tchanzu, à proximité du parc des Virunga.
Les conflits récurrents depuis les années 1990 ont eu un impact dévastateur sur ces écosystèmes. Selon Mongabay, les populations d’éléphants ont frôlé l’extinction au Kahuzi-Biega dans les années 2000. Les gorilles, eux, n’ont vu leurs effectifs se stabiliser qu’après le retrait de certains groupes armés de la zone.
Ciblés partout
Sur le terrain, les activistes environnementaux sont donc soumis à des contraintes. Leur engagement les expose chaque jour davantage. « Certains militants sont coincés à Goma ou à Bukavu, incapables de fuir avec leurs proches. Ils vivent dans la peur, au milieu des pillages et des soupçons de collusion avec les rebelles », explique un spécialiste de la conservation.
La menace s’étend bien au-delà des zones de guerre. À Mongala, Lualaba, Ituri et ailleurs, des militants signalent également des cas de répression ciblée. En février dernier, dans la province du Maniema, 15 membres de l’ONG environnementale SOCEARUCO ont été condamnés à six mois de prison ferme, assortis d’une amende de 5 000 dollars et de 50 000 dollars de dommages, pour avoir dénoncé l’exploitation illégale de bois rouge par un opérateur d’origine rwandaise. Le jugement a été qualifié de « bâclé » et « entaché de corruption » par plusieurs observateurs.
« L’exploitation des forêts au Maniema ne profite ni à l’État congolais, ni aux communautés locales », déclare Josué Aruna, cadre de SOCEARUCO aujourd’hui en exil. « Ceux qui s’y opposent s’exposent à des représailles graves, y compris des arrestations arbitraires. »
Répression invisible, pillage visible
Ces cas traduisent une réalité plus large : une répression silencieuse mais systématique à l’encontre de ceux qui tentent de protéger les ressources naturelles du pays. Malgré les dénonciations de la société civile et les rapports des organisations internationales, les autorités congolaises peinent à garantir la sécurité des défenseurs de l’environnement.
Parallèlement, l’application des lois de conservation reste défaillante, laissant les forêts ouvertes à toutes les convoitises. Charbon de bois, bois d’œuvre, minerais stratégiques : ces ressources souvent illégalement exploitées financent les groupes armés et entretiennent un commerce illégal qui aggrave la dégradation des écosystèmes.
Dans un pays fragilisé par trois décennies de conflits, cette inaction institutionnelle équivaut à un abandon. Et pendant que les arbres tombent et que les minerais sortent du sol, les voix qui s’élèvent pour défendre le vivant sont contraintes, elles, à se taire… ou à disparaître.
Djify ELUGBA KABAMBA