En République démocratique du Congo, l’implication des femmes dans la préservation de la biodiversité apporte des résultats très encourageants. Les activités du projet « Partenariat pour les Peuples, la Nature et le Climat », lancé en 2021, ont démontré que les femmes autochtones pygmées et celles appartenant à la communauté locale restent des actrices clé dans la lutte contre la crise climatique et les inégalités structurelles, notamment celles entre l’homme et la femme.
Par Hyacinthe Bovaka, Helene Bajikila, Perpétue Boku, et Chouchouna Losale du CFLEDD sous la supervision de Michelle Sonkoue
Comme la plupart des autres défis humanitaires et de développement, la crise climatique perpétue et amplifie les inégalités structurelles, notamment entre les femmes et les hommes. Le projet lancé en 2021, intitulé “Partenariat pour les Peuples, la Nature et le Climat”, financé par le Bezos Earth Fund vise à renforcer les droits fonciers communautaires et la conservation au niveau local entre 2022 et 2025 afin de faire progresser les objectifs mondiaux en matière de conservation, de climat et de développement dans les Andes tropicales (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou) et le bassin du Congo (République démocratique du Congo, République du Congo et Gabon).
Depuis 2023, les actions mises en œuvre au niveau local dans le cadre de ce projet en RDC, par la Coalition des Femmes Leaders pour l’Environnement et le Développement Durable (CFLEDD), membre de la coalition Rights and Resources Initiative (RRI), ont permis de renforcer les capacités des femmes locales et autochtones, tout en documentant leurs pratiques quotidiennes. Ces pratiques soutiennent les économies locales, contribuent à la conservation de la biodiversité, luttent contre les changements climatiques et favorisent le leadership féminin.
L’une des actions phares du projet, menée en 2024, visait à capitaliser sur les acquis de 2023 en vulgarisant les solutions locales développées par les femmes en matière de conservation et de lutte contre les changements climatiques. Dans ce cadre, 130 femmes et filles ont été consultées dans cinq provinces(voir la carte ci-dessous).
Des pratiques de conservation structurées autour d’un mode de vie
A Mbandaka et Lukolela, dans la province de l’Équateur, les femmes pratiquent des activités qui sont quasi dépendantes de l’existence des écosystèmes forestiers denses pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ces activités n’altèrent pas les fonctions d’interdépendance entre la chaîne alimentaire de l’écosystème forestier et impliquent le maintien de l’arbre en vie. D’une journée à une autre, lorsqu’une femme entre dans la forêt, elle pratique uniquement : la cueillette, le ramassage, le prélèvement des produits forestiers non ligneux en fonction des saisons et la récolte des bois morts.
De la conservation à la sécurisation locale des tenures communautaires
Grâce aux cadres de dialogue organisés par le projet, impliquant les chefs traditionnels à Mbandaka, Kikwit, Mbali, Songololo et Mbuji-Mayi, ces femmes ont pu, collectivement, présenter leurs pratiques de gestion durable. Ces usages, comme observé à Mbandaka et Lukolela, favorisent la conservation de la nature sur des espaces forestiers menacés d’accaparement pour l’exploitation du bois. Ces échanges ont permis de sensibiliser les garants de la gestion coutumière des terres dans ces villages.
Ils ont également abouti à des engagements remarquables en faveur de la protection des espaces et des ressources naturelles à l’échelle des terroirs villageois. Ces engagements se sont concrétisés par la sécurisation collective de 81 hectares de terres, réalisée grâce à la cartographie participative et aux accords coutumiers établis dans ces localités. Aujourd’hui, l’exploitation du bois, essentiellement artisanale et illégale, est interdite sur ces sites et est surveillée par les conseils des sages de ces chefferies concernées.
L’agroforesterie et l’agroécologie au cœur des exploitations agricoles féminines
Dans les forêts des villages Kikwit, Mbali, Mongala, Mbandaka et Songololo, les femmes pratiquent une forme d’agroforesterie qui associe arbres naturels, arbres fruitiers et cultures vivrières, notamment le manioc. L’agroécologie n’est pas en reste : les itinéraires techniques qu’elles utilisent sont respectueux de l’environnement et intègrent des pratiques innovantes et durables. Nous avons identifié plusieurs de ces pratiques :
- Absence de labour profond et sarclage manuel : Ces techniques préservent les sols et réduisent le risque d’érosion.
- Gardiennage communautaire : Il protège l’intégrité de la forêt contre les exploitations abusives par la surveillance improvisée des femmes et filles du fait de leur déplacement quotidien dans la forêt pour se rendre dans leur champ.
- Jachère améliorée à base de plantes fertilisantes : Cette méthode permet la reconstitution naturelle des éléments nutritifs du sol tout en facilitant une régénération rapide des semences et de la forêt.
- Irrigation naturelle : L’eau est canalisée selon les besoins à l’aide de plantes locales comme les bambous.
- Enfouissement traditionnel des résidus de récolte : Contrairement au brûlis, cette pratique limite les émissions de gaz à effet de serre tout en enrichissant le sol.
- Valorisation des savanes : Les femmes privilégient la culture de maïs sur ces terres plutôt que la déforestation des espaces densément boisés pour des monocultures.
- Paillage : Cette technique consiste à recouvrir la terre avec du matériel végétal (feuilles, herbes, brindilles, résidus de récolte) afin de réduire l’évaporation de l’eau et d’augmenter la teneur en matière organique du sol.
- Compostage naturel : Les déchets de cuisine et les feuilles mortes sont utilisés pour fertiliser les espaces agricoles.
Pendant plusieurs mois, nous avons appris auprès des femmes et filles des forêts de la RDC, qui nous ont partagé leurs précieuses connaissances.
Transition énergétique en marche à Mbandaka et Songololo
es ménages ruraux en RDC continuent d’utiliser le bois ou le charbon de bois comme principale, voire unique source d’énergie pour la cuisson. Les enquêtes auprès des femmes menées dans le cadre de ce projet permettent de noter un déclic marqué par l’engagement des femmes dans la production et l’utilisation de sources d’énergie alternatives à Mbandaka et Songololo.
En vue de protéger l’environnement et limiter la pression sur la forêt, la femme procède aussi à la fabrication des briquettes écologiques à base des déchets biodégradables et les pavés écologiques à base des bouteilles en plastique. Au cours des deux dernières années, par trimestre 180 sacs de 5 kg chacun des briquettes écologiques ont été produite à Mbandaka dans la province de l’Equateur et à Songololo au Kongo-Central.
Ces pratiques locales des filles, femmes locales et autochtones pygmées, qui contribuent à la conservation de la biodiversité, représentent des solutions locales face aux défis climatiques. Elles nécessitent, d’une part, une mobilisation accrue pour promouvoir le leadership des femmes locales et autochtones pygmées dans la gestion des forêts, et, d’autre part, un soutien financier renforcé pour vulgariser leurs techniques agricoles ainsi que ce modèle énergétique alternatif dans un contexte constant d’accroissement de la demande énergique liée à la croissance démographique en RD Congo.
Déjà à pied d’œuvre dans ce vaste chantier, la CFLEDD entend porter la voix des femmes et des filles auprès des décideurs au niveau international et national. Elle s’engage à poursuivre sa collaboration avec ses partenaires afin d’aider les femmes à renforcer leur résilience face aux impacts du changement climatique et à valoriser leurs précieuses connaissances et compétences dans le cadre de l’action climatique, pour bâtir un avenir plus équitable et durable pour toutes et tous.