Le projet « couloir vert Kivu-Kinshasa », porté par le gouvernement de la République démocratique du Congo, ne cesse de faire couler ancres et salive. Des voix continuent à s’élever pour décrire la manière cavalière dont ce projet est en train d’avancer. La dernière en date est celle de la Dynamique des Groupes des peuples autochtones DGPA, qui dans une note technique, relève les défis, risques et impacts socio-culturels que ce projet pourrait générer si les choses ne se font pas correctement.
« Dans leurs réflexions, les acteurs de la société civile environnementale reconnaissent que le projet du « Couloir vert Kivu-Kinshasa » en RDC représente une initiative louable pour la conservation de la biodiversité et une opportunité unique de renforcer son cadre légal. Bien que ambitieuse et prometteuse, elle comporte également de nombreux défis, risques et inconvénients qu’il convient d’évaluer en toute impartialité dans le but de préserver les intérêts aussi bien des Peuples autochtones et communautés locales que de l’Etat Congolais », peut-on lire dans cette note.
Parmi les défis relevés dans cette analyse, il y a notamment, le conflit avec les peuples autochtones et les communautés locales. A en croire les experts de la DGPA, la création d’une aire protégée aussi vaste que celle-ci, peut entraîner des tensions avec les populations locales qui dépendent des ressources naturelles de la région pour leur subsistance. Si leurs besoins ne sont pas pris en compte et si les compensations ne sont pas adéquates.
La gestion d’une vaste étendue d’environ ½ million d’hectares reste un défi logistique et administratif considérable. Il nécessite des moyens financiers importants et une coordination efficace entre les différentes parties prenantes (gouvernement, ONG, communautés locales). Elle nécessite également des connaissances scientifiques sur les écosystèmes concernés afin d’évaluer avec précision les impacts à long terme du projet et anticiper les éventuels effets pervers. A cela s’ajoutent également des enjeux sécuritaires.
« Certaines régions concernées par le projet sont actuellement touchées par des conflits armés (Cas du grand Kivu, Maï-Ndombe et les périphéries de Kinshasa). A l’absence des consultations préalables des communautés et de la mise en place des sauvegardes sociales et environnementales, la présence accrue des autorités et des ONG dans ces zones pourrait attiser les tensions et exposer les acteurs du projet à des risques sécuritaires », prévient cette organisation de la société civile.
La DGPA craint par ailleurs, le risque de détournement des fonds alloués au projet, la mauvaise gestion, la limitation de certaines activités économiques, comme l’exploitation forestière, minière ou certains types de projets agricoles (concessions forestières, minières, agricoles, blocs pétroliers, etc.) pourrait avoir des conséquences négatives sur l’emploi, les moyens de subsistance et le développement économique des régions concernées au risque de mettre en mal l’atteinte de certains objectifs stratégiques visés par différents ministères à travers leurs programmes sectoriels, y compris le PNSD.
Sur le plan légal, la création de ce couloir vert en RDC devra avoir des implications profondes sur le cadre légal existant. Cela nécessite une nouvelle législation, l’adaptation de la législation existante, la création de nouvelles institutions et mécanismes de gestion (ou cogestion), la mise en place d’une autorité de gestion, et mécanismes de cogestion, la clarification des droits fonciers et d’usage, etc.
La DGPA recommande toutefois, une approche intégrée et participative dès la phase de conception, combinée à des investissements suffisants, sera essentielle pour garantir la réussite de ce projet ambitieux. Elle propose également quelques mesures d’atténuations des risques à savoir, la consultation et implication des peuples autochtones, les communautés locales, la société civile et le secteur privé, le renforcement des capacités des acteurs locaux, la mise en place des mécanismes de contrôle et de transparence, le développant des alternatives économiques et l’adoption ou modification du cadre légal.
« En dehors des autres initiatives existantes, la création d’une nouvelle catégorie d’aire protégée aussi complexe devrait nécessairement être précédée d’un certain nombre de sauvegardes (EIES, CLIP communautaire, etc.) dans le but d’identifier tous les risques en amont et proposer des mesures d’atténuation adéquates avant l’adoption d’un cadre légal qui n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi aussi bien au sein des commissions parlementaires que dans des cadres de concertations multi-acteurs au sein desquels participent les acteurs de la société civile, du secteur privé et des partenaires au développement », insiste la DGPA.
Et de conclure qu’en prenant en compte ces éléments, le projet du « Couloir vert Kivu-Kinshasa » pourrait devenir un modèle réussi de développement durable, de conservation de la biodiversité et d’expérimentation d’une économie verte aussi bien en Afrique que dans le monde.
Alfredo Prince NTUMBA