L’organisation non gouvernementale à but non lucratif PAX a, dans un rapport publié en décembre 2024, dénoncé la démolition de 2 500 maisons par la mine de Kibali, en République démocratique du Congo. A en croire ce rapport, au mois d’octobre 2021, les autorités congolaises ont supervisé la démolition de 2 500 maisons des localités de Mege et Bandayi, dans la province du Haut-Uélé, située au nord-est de la RDC. Une province instaurée en 2015, après démembrement de la province orientale.
« Ce rapport de PAX est effectivement sorti. C’est la situation de Mége et Bandayi que tout le monde est sensé connaître. Récemment, le gouvernement a tenu un point de presse avec le Ministre Muyaya à Isiro et il est revenu sur cela aussi, puisque la question a été posée. Pour revenir, nous avons travaillé et avons invité PAX sur le site puis fourni tous les éléments ; ils se sont entêtés à publier ; malgré ça, le rapport contient une réponse détaillée de Barrick. » A éclairé le Président Directeur Général de Barrick, Mark Bristow.
A en croire ledit rapport, des engins lourds, protégés par des éléments de l’armée et de la police, ont détruit en quelques minutes les maisons des habitants de cette zone, dont beaucoup n’ont même pas eu le temps de récupérer leurs biens. Un membre de la communauté a déclaré : « Ils ont détruit les églises, les écoles, les hôpitaux, tout. C’était violent. Si on te trouve avec un téléphone, une caméra, on va te taper pour récupérer ce téléphone. Et puis tu pars en prison ».
Une autre victime a déclaré à PAX : « J’ai supplié [un policier, expliquant] que j’avais un bébé de trois mois pour qu’il me laisse ne fût-ce qu’une paillote où je pouvais placer ce bébé, mais il a refusé. Après avoir démoli toutes les maisons, ils nous ont laissées sous la pluie ». Indique ce rapport.
PAX travaille aux Pays-bas et dans le monde avec l’objectif de favoriser la paix, la réconciliation, et la justice dans le monde. Elle a enquêté pendant trois ans sur cette affaire. « Barrick, l’entreprise canadienne qui exploite la mine d’or, savait, ou du moins aurait dû savoir, que quelque 2 500 familles allaient se retrouver sans abri, mais elle n’a pas appelé le gouvernement à stopper le processus d’éviction. Les vies de milliers de personnes ont ainsi été brisées. Elles demandent aujourd’hui justice et réparation. » Précise le rapport.
Le dialogue avec les communautés avait-il été possible pour respecter les CLIP ?
Selon le même document, les entretiens menés par PAX auprès des communautés affectées, ainsi que son examen de documents et d’images satellite, amènent à penser que, contrairement aux positions prises publiquement par Barrick, il n’y a probablement jamais eu de réinstallation des ménages et de compensation des champs dans la zone de Mege-Bandayi, ou du moins pas de manière complète. Donc, les entretiens de PAX avec des victimes suggèrent également que pendant une longue période, beaucoup d’entre elles ne savaient réellement pas qu’elles vivaient dans un espace que les autorités avaient désigné comme faisant partie d’une « zone d’exclusion ».
« Cet élément laisse fortement penser que Kibali (et, par extension, Barrick) et les autorités congolaises ont manqué à leur obligation d’informer de manière adéquate ces communautés, ce qui rend les expulsions subséquentes à la fois illégales et profondément injustes », confirme le rapport.
Selon ce rapport, les habitants de Mege et Bandayi étaient tous des occupants illégaux dans sa zone d’exclusion B et, par conséquent, n’étaient pas qualifiés pour être relogés ailleurs par Kibali. « Barrick a affirmé que tous les occupants initiaux de ces terrains avaient été relogés, en conformité avec les normes et les meilleures pratiques internationales, sur un nouveau site d’accueil entre 2010 et 2013, dans le cadre d’une vaste campagne de relogement et réinstallation de plus de 20000 personnes, membres d’au moins 4000 foyers. PAX a découvert de nombreuses preuves indiquant que ces affirmations sont fausses ou trompeuses à plusieurs égards. » Insiste le rapport.
« L’allégation centrale de PAX est que la réinstallation et l’indemnisation des ménages affectés vivant dans les villages de Megi et Bandayi pendant l’établissement de la mine n’ont probablement pas eu lieu, ou du moins pas entièrement, et que seules certaines communautés ont été installées. Nonobstant la description spéculative de vos conclusions tout en faisant une allégation très sérieuse, et le fait que vos conclusions sont basées sur des entretiens qui représentent moins de 1% des occupants illégaux de cette zone et quelque 9 années plus tard, votre correspondance est sélective dans les périodes analysées et ne prend pas en compte l’imagerie aérienne à partir de 2008 jusqu’à 2013 ou le registre administratif de la RDC répertoriant les établissements/villages. » Répond Barrick dans le rapport de PAX.
Dans le même document, Barrick ajoute que Kibali a mis en œuvre la réinstallation en déplaçant tous les ménages se trouvant dans la zone d’exclusion. « Mege et Bandayi ont été déplacés en septembre 2013. Au moment de la mise en œuvre de la réinstallation, Kibali partageait un calendrier de déplacement physique avant son exécution, qui était diffusé sur les radios locales, affiché au bureau des réclamations et distribué par l’intermédiaire des Groupes de travail de réinstallation (GTR). Un examen approfondi des images aériennes montre que les pratiques agricoles historiques et les structures établies avant la mine ne sont plus évidentes sur les images de 2012. Barrick a répondu par écrit à PAX le 25 octobre 2022, le 29 décembre 2022 et le 22 novembre 2024. » Poursuit Barrick.
La mine d’or insiste, dans sa réponse, qu’un Cadre de politique de réinstallation, un Plan d’action de réinstallation et une Évaluation de l’impact environnemental et social ont été réalisés au cours de la période 2010-2011 et ont permis de recueillir des informations pertinentes sur les communautés existantes dans les Zones d’exclusion. Elles ont été documentées et, suite à la publication de l’Arrêté provincial, un engagement communautaire et une participation publique étendus ont été entrepris pour s’assurer que les communautés affectées étaient informées et comprenaient le processus, y compris le droit légitime de Kibali à réinstaller de manière responsable 16 277 personnes affectées par le projet, réparties dans 3 777 foyers.
« Enfin, nous croyons savoir que le soulèvement communautaire d’octobre 2021 à Durba n’était pas lié à la réinstallation des communautés de Mege et Bandayi menée par le gouvernement, mais qu’il était plutôt alimenté par le fait que le gouvernement appliquait la loi associée à l’exploitation minière illégale dans la région. Kibali nie catégoriquement toute implication ou responsabilité dans ces soulèvements et les événements malheureux qui ont suivi. » Conclut Barrick.
Notons que ce rapport formule quelques recommandations aux autorités congolaises, dont le lancement d’une enquête indépendante sur les allégations d’abus commis dans le cadre des évictions à la mine de Kibali ; l’engagement d’un dialogue public constructif avec les populations affectées de Mege et Bandayi, en collaboration avec Barrick/Kibali, en vue de fournir des réparations aux victimes ; l’accroissement et l’amélioration de la transparence et la communication avec les communautés affectées, notamment en rendant davantage d’informations publiques, conformément aux normes internationales ; rendre publics tous les Plans d’action de réinstallation et les Études d’impact environnemental et social de Kibali existant à ce jour, ainsi que tous les documents de ce type à l’avenir tout en veillant à protéger les données personnelles.
Sarah MANGAZA