Trois ans après son lancement, le projet Due Diligence en matière des droits humains dans le bassin du Congo vient de toucher à sa fin. Porté par le Fonds Mondial de la Nature (WWF), ce projet a permis de gérer les conflits qui sévissent dans et autour des aires protégées des parcs nationaux de la Salonga en RDC, de Lobéké au Cameroun et les aires protégées de Dzanga Sangha en RCA. Les résultats de ce projet ont été présentés lors d’un atelier organisé à Kinshasa, du 24 au 25 avril 2024.
Ce projet financé à hauteur de 3.300.000 Euros a été initié à la suite des accusations de graves violations des droits humains portées contre le WWF et les parcs précités. Cette situation avait été à la base des tensions permanentes entre les communautés locales et peuples autochtones vivant dans et autour de ces aires protégées. En République démocratique du Congo par exemple, grâce à ce projet, l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la Nature), s’est doté d’une cellule des droits humains. Une innovation appréciée par toutes les parties.
Les participants ont été unanimes sur le fait que la RDC est un modèle car elle est la seule à disposer d’une loi sur les droits des peuples autochtones et communautés locales, promulguée depuis le 16 novembre 2022. Loi qui se trouve entre les mains des députés du Cameroun afin de copier le modèle pour pallier un tant soit peu aux problèmes de leurs communautés.
« Les défis sont nombreux. Beaucoup de Camerounais ne sont même pas informés sur les droits des peuples autochtones. Les autorités qui sont chargées de la conservation ne maîtrisent pas et ne prennent pas au sérieux les droits des PA en matière de bénéfices des ressources. De l’autre côté, il y a la faiblesse des PA à assumer la défense de leurs droits. Mais, grâce à ce projet, un plan d’action triennal visant à protéger les droits des PA dans les projets de conservation est amélioré et révisé en étroite collaboration avec le groupe cible ; dans 23 villages autour du parc national Lobéké, les PACL sont informés sur leurs droits. » A souligné la Coordinatrice Assistante du Centre pour l’Éducation, la Formation et l’Appui aux initiatives de Développement (CEFAID) du Cameroun, Essiane Owono Sylvie
La RCA, de son côté, connaît des problèmes en matière de conservation. D’où, ce projet est tombé à point nommé pour aider à gérer cette problématique. « Nous aidons les PA à avoir accès à la justice. Nous les formons sur comment défendre eux-mêmes leurs droits. Au départ il y avait assez de violation. Mais aujourd’hui, ils sont en mesure de se défendre. Grâce à ce projet, 586 plaintes ont été enregistrées, il y a eu résolution consensuelle des conflits et une cohabitation pacifique. A travers nos plaidoyers, certains sont même dans les institutions pour défendre les droits des autres. Bien qu’il y ait des avancées, il y a encore du travail à faire car, bien que la RCA ait ratifié la convention 169 de l’OIT, il n’y a pas une loi qui inclut cette convention dans les lois nationales, donc pas de loi spécifique qui protège les PA. » S’est indigné Limbaya Michelin de la Maison de l’Enfant et de la Femme Pygmée en RCA (MEFP-RCA).
Bengo, un nouvel élan d’espoir pour les communautés locales en RDC ?
Malgré les nombreux défis qui restent à relever dans le secteur de la conservation en RDC, entre autres la gestion du conflit homme-faune, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) estime que le partenariat avec le projet Bengo a consolidé et créé un acquis sur lequel l’ICCN projette des relations plus apaisées et plus constructives avec les communautés locales.
« Les résultats que nous présentons aujourd’hui sont un hymne aux femmes et aux hommes qui ont accepté de se mettre ensemble pour dialoguer, se comprendre mutuellement et trouver des solutions idoines aux problèmes qui les divisaient. Les droits des peuples autochtones et des communautés locales sont un pilier crucial de toute action de conservation », a indiqué le directeur général adjoint de l’ICCN, Théophile Ngomo Difuma.
Le gestionnaire du parc de la Salonga, bénéficiaire de ce projet estime que le projet Bengo a été d’un grand soutien aux efforts fournis par cette institution pour sauvegarder ce patrimoine.
« Il y a quand même des avancées. Les notions sur la gestion des plaintes ont été assimilées, surtout l’intensification des relations avec les chefs coutumiers. JUREC réussit à réconcilier les communautés et il y a quand même la paix qui règne. Les éco-gardes avec qui nous travaillons sont recrutés dans les mêmes communautés, à 90%. Désormais, ils savent comment vivre avec les communautés et, nous sommes là pour toujours les interpeller afin qu’ils fassent un bon travail », a confié le Directeur du parc, El’Hadji Somba Byombo Ghislain.
Les communautés locales représentées par le Réseau des Populations Autochtones et Locales pour la gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique Centrale (REPALEAC), ont insisté sur le fait que les autorités devraient s’approprier le document rédigé à l’issue de ces travaux en tant qu’outil de plaidoyer et d’orientation dans la création et gestion des aires protégées, pour prendre en compte les revendications des peuples autochtones et communautés locales.
« Le projet Bengo a boosté les actions des plaidoyers en faveur des PA au niveau national, sous-régional et international. La loi des PA avait été promulguée en RDC. Mais, il y a des défis énormes tels que la faible communication sur le projet, 300 visites par mois n’ont pas été atteintes ; moins de missions nationales sur le mécanisme de gestion des plaintes. Ainsi, nous recommandons le renforcement des capacités des leaders des communautés autochtones au niveau de la base, afin qu’ils soient à mesure de prendre le relai, en orientant les cas de violation eux-mêmes. C’est pour qu’ils s’approprient ce projet. Cela, pour qu’en cas d’absence des personnes habilitées à gérer les cas de violation des droits de l’homme, qu’ils soient capables d’aller vers les institutions de gestion des aires protégées pour revendiquer leurs droits. Mais aussi, nous demandons le renforcement des capacités sur la législation des PA. Car, si ces communautés ont ces outils, elles peuvent s’en servir », a déclaré le Coordonnateur régional, Joseph Itongwa.
A l’issue de ces travaux, plusieurs recommandations ont été formulées, entre autres : la responsabilisation de la cellule de Droits Humains de l’ICCN ; la mobilisation des financements ; l’autonomisation des structures de gouvernance existantes par le renforcement des capacités ; la reconnaissance des droits des éco gardes comme humains faisant partie de bénéficiaires de mécanisme de gestion des plaintes et recours ; la création d’un fond d’indemnisation en faveur des victimes des conflits homme-faune ; l’identification des corridors d’éléphants et la sensibilisation des communautés locales à ne pas y réaliser des activités.
Sarah MANGAZA