Le Congo Brazzaville et le Cameroun, sont deux pays d’Afrique Centrale qui abritent un vaste réseau d’aires protégées dans lequel existe une riche biodiversité animale. Ces aires protégées sont situées dans des espaces multipartites et multifonctionnels ce qui engendre des conflits entre parties prenantes mais aussi entre l’homme et la faune sauvage. D’après l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) les conflits homme-faune surviennent lorsque les besoins élémentaires de la faune contrarient ceux des humains, ce qui engendre des conséquences négatives à la fois pour les communautés qui vivent à proximité de ces aires protégées et même au-delà et pour les animaux.
Au Cameroun les localités de Campo dans le sud du pays frontalière de la Guinée Equatoriale et Messok-Ngoyla à l’Est, sont considérées ces dernières années, comme des épicentres de cette coexistence conflictuelle entre l’homme et les bêtes sauvages ; en cause, les animaux des Parcs Nationaux de Campo Ma’an et de Nki abandonnent leurs espaces naturels pour pénétrer dans les villages à la chercher de la nourriture en détruisant champs et plantations et s’attaquent même parfois aux Hommes.
A Nkoelone, un village situé à 2km du Parc National de Campo Ma’an, Marcelline Ngono une cultivatrice est sans voix : son hectare de vivres fraichement planté ressemble désormais à un champ de ruine : « Partout ici dans mon champ, il y avait le macabo, le plantain la banane, le manioc et les pistaches ; il a tout dévasté.» se plaint elle après le passage d’un éléphant. Depuis plusieurs années les éléphants, les gorilles les guenons et bien d’autres animaux sauvages font des incursions régulières dans les champs et plantations des villageois et ravagent tout. A Akak, village voisin de Nkoelone les crottes et les marques de pattes du pachyderme sur le sol, étaient encore fraiches dans le champ de patate, d’ignames et de manioc totalement détruit derrière la maison de Florence Bezibi lors de notre passage.
Machette à la main elle zigzague entre les plants de cacao aux branches arrachées et enjambe les troncs de cocotiers et d’avocatiers renversés. L’agricultrice avance en pestant contre « ces betes sauvages qui détruisent tout sur leur chemin » Cette dernière affirme ne plus savoir quoi faire car les éléphants saccagent tout, « même les repousses de bananiers plantains ». Comme elles, Pie Parfait Ondo cultivateur au village Assok Bitandé a pris la décision de ne plus mettre pied dans sa plantation de deux hectares de plantain et de manioc située à un kilomètre de son domicile. Il y a quatre mois il s’y était rendu comme chaque matin lorsqu’il découvert le « désastre ». Il a pris la décision de ne plus jamais y retourner jusqu’à notre visite. Ici, les mois de janvier jusqu’en avril sont particulièrement redoutés ; il s’agit des périodes où les éléphants rodent en permanence par vague autour des habitations de jour comme de nuit à la recherche de nourrir. Les animaux discutent désormais la nourriture avec les humains. Depuis plusieurs années racontent- il « les récoltes sont quasi inexistantes à cause des visites sans cesse croissantes des bêtes sauvages dans nos champs, on mange plus du riz ici qu’autre chose alors que nous cultivons la terre. Mais les animaux ne nous laissent rien dans les champs » fulmine l’homme.
Adjila, est un petit village situé à 11 km du centre-ville de Ngoyla dans le département du Haut Nyong région de l’Est ; autre fois, il était très réputé pour l’abondance en viande de brousse. Ici également ce sont les pleurs et les cris. Les plantations de cacao, de plantains, les champs d’arachide ou encore de manioc sont envahies et les cultures détruites chaque fois par les animaux qui viennent du parc national de Nki et même d’ailleurs (a-t-on appris sur place). Ils font des dégâts importants dans les champs des riverains au parc. Medjo Donatien, chef du village d’Adjila, est dépité comme ses sujets. “Les hérissons et les taupes s’attaquent respectivement aux patates, aux arachides, au manioc. Même les jeunes pousses ne sont pas épargnées”, déclare l’octogénaire. Ngue Christophe Arthur, habitant de Ngoyla propriétaire d’une bananeraie à Adjila, est désemparé. Les éléphants et les grands singes s’adonnent à cœur joie dans sa plantation: ils s’attaquent aux pieds de bananier, aux cacaoyers, s’offusque le natif de Ngoyla. “Nous n’avons plus que nos yeux pour pleurer”, s’écrie la cultivatrice Abah Madeleine, sa voisine.
A Messok, la situation est identique. “Les femmes ont même déjà peur de remettre les pieds dans leurs champs”, explique le Conseiller régional Beng Bimeng Joël Maxime. Ici, les gorilles, les chimpanzés et les éléphants sont les principaux animaux sauvages qui dévastent les champs de manioc, les arbres à fruits et autres bananiers, affirme l’élu local.
Selon un éco garde qui a requis l’anonymat, la présence des animaux du parc national de Nki dans les plantations villageoises a plusieurs explications : les champs des habitants de Ngoyla comme de Messok sont à proximité des limites du parc, ce qui rend facile l’accès des bêtes dans les plantations. A cela il faut ajouter le braconnage à l’intérieur du parc, exercé par les Peuples Autochtones Baka qui y trouvent leur compte. Une activité qui, en croire l’éco garde, pousserait les animaux hors des limites de l’aire protégée pour aller ailleurs, et notamment dans les plantations paysannes, rappelle-t-il.
De l’autre côté, le conseiller municipal Nkouom Metchio Cyrus de Ngoyla souligne que la conservation a “effectivement réussi”, puisqu’elle a permis d’accroître le nombre d’animaux sauvages dans le parc. Plus nombreux qu’avant, et la compétition pour la subsistance aidant les animaux sont parfois obligés de quitter le parc lorsque la nourriture se fait rare surtout lorsque les arbres fruitiers ne produisent plus en forêt. Conséquence, ils envahissent les plantations des habitants afin de trouver leur pitance, argue notre interlocuteur.
DES MORTS ET DES BLESSES AU CONGO BRAZZAVILLE
La cohabitation difficile entre les hommes et les bêtes sauvages autour des parcs nationaux ne touche pas seulement le Cameroun ; son voisin le Congo Brazzaville connait également le même problème : c’est le cas dans des districts de Nzambi et de Madingo-Kayes, où une trentaine de localités ont ainsi été victimes d’au moins une descente d’éléphants ces derniers mois avec mort d’homme. Deux personnes ont été tuées par des pachydermes à Tié-Tié, un village proche de la frontière gabonaise, ainsi qu’à Sialivakou, situé à environ 130 kilomètres au nord de Pointe-Noire et deux chasseurs grièvement
À la périphérie et au sein même du parc national de Conkouati-Douli (PNCD), les éléphants s’attaquent régulièrement à des plantations. Ces troupeaux, qui cherchent à se nourrir, font des dégâts considérables : montagnes de déjections, cultures dévastées, tarots, ignames, manioc, etc sont arrachés et abandonnés sur place. Une habitante de Sialivakou se souvient du spectacle de désolation après le passage de pachydermes sur son champ : « Rien de plus triste que de ne pas pouvoir jouir du produit de son travail. Quand je pense à tous mes efforts physiques et les dépenses effectuées pour le défrichement ou l’abattage d’arbres et d’arbustes… C’est comme si on venait de m’enterrer vivante », se plaint Célestine Bouanga.
Cette dernière, découragée, a carrément décidé de jeter l’éponge. Cette quadragénaire, qui se bat comme elle peut pour subvenir à ses besoins grâce à la vente de produits comme le manioc, ne sait plus à quel saint se vouer. « L’argent que mon mari gagne grâce à la pêche est habituellement investi dans certains projets. Mais depuis que j’ai renoncé à l’agriculture à cause des éléphants, le pauvre souffre, car je suis totalement dépendante de lui », confie-t-elle.
VILLAGES ABANDONNES
Célestine Bouanga n’est pas la seule à avoir abandonné l’agriculture pour ces raisons. D’autres agricultrices du secteur, qui travaillaient sur de faibles superficies, ont fait la même chose, sans pour autant avoir trouvé une activité de substitution. « Imaginez-vous une femme célibataire qui ne sait pas pratiquer la pêche. Elle va souffrir ! Donc, cette affaire d’éléphants est un véritable frein à l’autonomisation de la femme », explique Gérald Boungou, habitant de Tandou-Ngoma. « Beaucoup de femmes s’approvisionnent désormais en produits vivriers à Pointe-Noire, alors que, dans le passé, elles produisaient aussi pour cette ville », explique Germaine Tchitoula, habitante du village Noumbi, au bord du fleuve éponyme.
Face à cette situation, certains villageois ont choisi de s’installer ailleurs. Cette vague de déménagements a des conséquences démographiques. Tandou-Ngoma a ainsi vu sa population passer de 500 à 372 âmes. « Ils quittent le village pour s’installer dans d’autres localités comme Tchibota, Bondi, Kondi et Tchilounga, qui sont peu fréquentées par les éléphants. Du moins, jusqu’ici… », témoigne Jean Léon Maboumba, chef du village Tandou-Ngoma.
DES BARRIERS ELECTRIQUES POUR ELOIGNER LES ELEPHANTS DES PLANTATIONS
Pour atténuer le phénomène et sauver les populations d’une famine certaine pour les années avenir la société civile congolaise a opté pour la construction des barrières électriques autour des plantations. Aujourd’hui cette solution commence à produire des résultats, le village Bomassa en est un exemple : « Avant, on souffrait pour nos plantations qui étaient souvent dévastées par les éléphants. Avec l’arrivé du projet Elanga, aujourd’hui dans le village Bomassa nous avons en permanence le manioc, les arachides, la banane et bien d’autre arbres fruitiers… », lâche tout joyeuse Louise Ngouengué, la soixantaine accomplie, mère de famille.
Louise Ngouengué fait partie des 59 familles qui expérimentent la barrière électrique protégeant leurs plantations des inclusions des pachydermes et d’autres espèces animales mis en place par l’ONG américaine Wildlife conservation society (WCS) dans le cadre du projet “Elanga (plantation en langue lingala)”.
Dans la localité de Bomassa et bien d’autres départements forestiers des pays du Bassin du Congo, les communautés locales et populations autochtones (CLPA) sont confrontées aux dévastations des plantations par des éléphants, un conflit aujourd’hui qui met en mal la coexistence homme-faune dans ces départements causant ainsi la raréfaction de certains produits agricoles. « Avant qu’on expérimente la barrière électrique, nos plantations étaient dans la forêt et constamment dévastées par les éléphants, depuis la mise en place de la barrière électrique tout autour de nos plantations ils (éléphants) ne s’approchent plus et nos produits champêtres sécurisés », se réjouit Jean Pierre Mbingo, autochtone et l’un des agriculteurs à « Elanga ».
Avant de mettre en place cette barrière électrique, une quinzaine d’expériences étaient développées à Bomassa, Bon-coin, Kabo pour tenter d’apporter de solutions dans le cadre du conflit homme-éléphant, mais malheureusement toutes ses expériences ont donné des résultats moins satisfaisants et ce n’est qu’en 2019 que WCS a expérimenté ce système de protection électrique dénommé projet « Elanga ». En lui-même, ce système est constitué d’un petit panneau solaire, de deux batteries de 100 ampères chacune et d’un appareil qui envoie la tension au niveau des câbles électriques.
A ce jour, cette barrière sécurise 4 hectares soit 4000m2 où sont installées 59 familles qui pratiquent l’agriculture depuis juillet 2019 en toute sécurité et quiétude.
« Pour évaluer l’activité animal et la performance de la barrière, nous avons installé une quinzaine de cameras autour du champ et nous avons fait le suivi durant 24 mois et enregistré durant ce suivi 130 visites d’éléphants avec 90 tentatives de destruction et aucune tentative n’a réussi, aucun éléphant n’a pu traverser la barrière, c’est à partir de ce suivi que nous avons effectivement conclu l’efficacité du système de protection électrique », explique Cisquet Kiebou Opepa, chargé au développement communautaire et responsable du volet coexistence homme-faune à WCS.
L’érection réussie de cette barrière vient consolider la coexistence paisible entre la population locale et les éléphants afin de promouvoir la préservation de la biodiversité et la sécurité alimentaire de la communauté. En plus de la barrière électrique le gestionnaire du Parc National Conkouati-Douli,(district de Nzambi ), l’Ong française Noé a élaboré un programme de regroupement de paysans locaux sur un même site appelé Zone Agricole Protégée (ZAP) avant d’ériger la clôture électrifiée pour dissuader les pachydermes : « Nous demandons aux communautés d’un même village de se regrouper sur un même champ. Il s’agira, par la suite, de réfléchir à la mise en place d’une clôture électrique qui repoussera les éléphants », explique Modeste Makani, responsable du développement communautaire au sein de l’ONG.
UNE EXPERIENCE A EXPORTEE DANS LA SOUS REGION
Aujourd’hui, le succès que connait le champ électrique de Bomassa a permis non seulement de le divulguer mais aussi constitue l’objet d’étude de cas un peu partout. Ce projet s’exporte déjà à Kabo, un village un peu proche de Bomassa avec l’installation dans les jours à venir de 18 hectares. De l’autre côté du parc National Odzala Kokoua et le parc national de Ntokou- Pikounda, l’équipe de WCS a mis en place une plateforme pour s’échanger, partager des expériences et des informations sur les questions liées à la multiplication de conflit entre l’homme et la faune sauvage.
Au niveau de la sous-région de l’Afrique centrale, lors de la réunion des trois aires protégées de Lobeké au Cameroun, Dzanga-Sangha en Centrafrique et Nouabale Ndoki au Congo, tenue du 7 au 11 juin 2022 à Bayanga (RCA), il a été recommandé que l’expérience de Bomassa devrait être documenter et ensuite partager aux autres aires protégées afin qu’eux-aussi de leur côté voir comment elles pouvaient, selon leur contexte l’appliquer. Déjà au niveau du TRI-National la Sangha (TNS) le processus est en cours. « Nous recevons toujours des appels et mails des amis de Djanga-Sangha avec lesquels on partage les informations sur le modèle de Bomassa, sur le design que nous développons ici. Nous recevons beaucoup des appels et des messages », explique Cisquet.
Tour d’horizon des conflits homme-faune en Afrique centrale : c’est un travail réalisé avec l’appui de Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.
Co auteurs : Hervé Ndombong, John Ndinga Ngoma Marien N. Massala, Ebénizer Diki