Le 31 juillet 2021, des communautés locales du centre de la République démocratique du Congo se sont réveillées avec des tonnes des poissons morts flottant sur la rivière Tshikapa, dont la couleur avait viré au rouge. Dans les jours qui ont suivi, plusieurs milliers de personnes dans la province du Kasaï ont demandé une assistance médicale pour des diarrhées sévères après avoir consommé de l’eau de la rivière. Le rapport initial avait fait état des cas de décès ; changement abrupte de la couleur des eaux, ce qui présage l’effet des réactions chimiques dues à la présence des métaux lourds et autres éléments de trace en grande quantité dans ces cours d’eau ; mortalité de plusieurs espèces de poissons ; apparition des cas de diarrhée chez les personnes ayant consommé les poissons ; perturbation des activités de pêche et de navigation ; manque d’accès aux services d’eau à usage domestique.
Environ un mois plus tard, le gouvernement congolais a tenu une conférence de presse confirmant les rapports selon lesquels ces événements étaient liés à la rupture d’un barrage des résidus miniers survenu à la mine de la Sociedade Mineirade Catoca, l’une des plus grandes mines de diamants au monde, située en Angola. Par la suite, l’exploitant de la mine la Sociedade Mineirade Catoca a rompu le silence et publié une déclaration dans laquelle il reconnaît qu’un incident s’est produit dans son installation de stockage des résidus miniers, mais nie que le déversement des résidus ait affecté la qualité de l’eau de la rivière Tshikapa à titre exceptionnel.
Les conséquences de cette catastrophe environnementale continuent à se manifester jusqu’à aujourd’hui sans qu’aucune mesure ne soit prise pour la réparation des dommages ni la restauration des écosystèmes.
Que s’est-il passé ?
Un groupe des chercheurs du Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo (CRREBaC) de l’Université de Kinshasa en République Démocratique du Congo, et de Institut de Science-Technologie et Politique de Zurich en Suisse, vient de publier un article scientifique dans un prestigieux journal d’Elsevier sur les impacts de cette pollution.
Selon ce groupe des chercheurs de calibre international qui ont collaboré à cette recherche pendant près de deux ans, les impacts de cette pollution sont d’une ampleur inimaginable, et auraient des conséquences fatales sur la population et les écosystèmes, ce qui exige des mesures de réparation et de compensation des populations, et la restauration des écosystèmes du bassin versant de la rivière Kasaï.
En effet, les analyses réalisées sur la base de l’imagerie Sentinel-2 et d’autres techniques plus avancées utilisant la vitesse de propagation du front de pollution confirment que l’incident de la rupture du barrage et le déversement des résidus s’est produit le 24 juillet 2021. La direction de la mine de Catoca avait initialement déclaré que l’incident s’était produit le 27 juillet, mais dans une émission de télévision angolaise diffusée fin septembre, la date du 24 juillet 2021 a été mentionnée. D’autres chercheurs ont également daté l’incident du 24 juillet 2021 en se basant sur des cartes composites d’images de satellites commerciaux d’une résolution de 1 mètre.
La série chronologique de la rivière Tshikapa au niveau de la mine Catoca confirme qu’au cours des six dernières années, il n’y a jamais eu de valeurs de turbidité aussi élevées que le signal détecté du 25 juillet au 4 août 2021 à la suite du déversement des résidus miniers. La série temporelle suggère que le déversement des résidus n’a pas été totalement arrêté à la fin du mois de juillet, comme l’a déclaré la Sociedade Mineirade Catoca, mais qu’une forte charge de sédiments a été déversée dans la rivière Lova jusqu’à la mi-septembre 2021. L’ extraction des pixels le long de la rivière a permis de suivre le signal de pollution à partir du point de départ où la rivière Lova déverse les effluents miniers dans la rivière Tshikapa. Le front de pollution a franchi la frontière de la province congolaise du Kasaï le 30 juillet 2021 et, selon les calculs de ces chercheurs, a atteint la ville de Tshikapa le 31 juillet 2021.
Au niveau de la ville de Tshikapa, la rivière Tshikapa se jette dans la rivière Kasaï, un affluent principal du fleuve Congo. Même après la confluence, le signal de pollution ne s’est pas dissipé, mais la rivière Kasaï a transporté le front de pollution sur une distance supplémentaire de 880 km jusqu’à sa confluence avec le fleuve Congo, où il est arrivé 20 jours plus tard, le 13 août 2021. A la sortie de la rivière Kasaï, le 30 août coïncide avec la première image où les niveaux de turbidité ont atteint les niveaux d’avant l’incident. Ainsi, cette pollution a été enregistrée sur plus de 1400 km et pendant 32 jours.
Bien que ces chercheurs aient également remarqué l’impact des activités minières sur les niveaux de turbidité avant l’incident, leurs analyses montrent que l’augmentation drastique de la turbidité après le déversement des résidus était sans précédent. L’ensemble des données a montré que les niveaux médians de turbidité de la vague de pollution étaient plusieurs fois plus élevés qu’avant l’incident.
Les mêmes différences importantes apparaissent lorsqu’on compare les pixels le long de la rivière Tshikapa avant et après l’incident. Ces observations contredisent clairement les déclarations des représentants de la Sociedade Mineirade Catoca et des autorités gouvernementales selon lesquelles les niveaux de turbidité se situaient dans les limites habituelles par rapport à ceux causés par d’autres activités minières.
Des niveaux élevés de turbidité reflètent une concentration plus élevée de particules en suspension dans l’eau. Comme moins de lumière pénètre dans une colonne d’eau turbide, la végétation aquatique produit moins d’oxygène par photosynthèse, ce qui affecte le biote aquatique. Une turbidité élevée a également des effets létaux directs sur les poissons en endommageant et/ou en obstruant leurs branchies et entraînant leur asphyxie.
La mortalité des poissons dépend non seulement de la concentration des sédiments en suspension, mais aussi de la taille des particules, de la durée d’exposition, de l’espèce de poisson et de son stade de vie. La turbidité peut être traduite en concentration totale de solides en suspension (TSS) par une corrélation linéaire. Une turbidité médiane d’environ 5800 FNU à l’intérieur du front principal de pollution se traduit par des concentrations de MES de 4,9 g L-1.
Cette valeur dépasse la norme angolaise pour les eaux douces de 60 mg L-1 pour les MES et la valeur congolaise de 80 mg L-1 par des facteurs respectifs de 80 et 60. Même quelques jours après l’arrivée du front de pollution dans le tronçon entre Ilebo et Bandundu, les valeurs de turbidité sont restées proches de 300 FNU, ce qui correspond à 300 mg L-1 et reste environ 4 fois supérieure aux normes de référence congolaises pour les eaux douces congolaises.
Cela signifie qu’il est très probable que le déversement ait eu un impact sur la santé des personnes qui ont consommé l’eau des rivières Tshikapa et Kasaï entre le 31 juillet et le 17 août 2021. Ces concentrations de sédiments en suspension étaient également près de 50 fois supérieures au seuil de 100 mg L-1 pour la santé des populations de poissons et d’ autres biomes aquatiques dans les cours d’eau.
Comme la turbidité est restée élevée pendant plus de 10 jours, nous devons conclure que le déversement des résidus a causé des impacts mortels sur les populations de poissons dans la rivière Tshikapa et la rivière Kasaï, comme l’a rapporté la population riveraine. Non seulement la mortalité aiguë de tels incidents de pollution est préoccupante pour le biote aquatique, mais les particules libérées lors du déversement de résidus peuvent nuire à l’écosystème à plus long terme. Les particules peuvent obstruer le lit du cours d’eau, ce qui a un impact sur les sites de reproduction des poissons et des macro invertébrés benthiques.
En outre, les débits élevés remettent en suspension les résidus déposés. Par exemple, pendant les mois qui ont suivi la rupture du barrage Feijao à Brumadinho, au Brésil, une étude a démontré qu’un volume important de dépôts de résidus dans la rivière Paraopeba a été remis en suspension pendant la saison des pluies.
Les analyses chimiques des effluents miniers ont montré que les métaux lourds étaient principalement liés à des particules en suspension telles que les oxyhydroxydes de fer et de manganèse et d’autres colloïdes, et que le transport des métaux lourds était plus important sous forme en suspension que sous forme dissoute.
Ces chercheurs ont utilisé le total des solides en suspension (TSS) et la turbidité comme indicateurs pour évaluer le transport des métaux dans l’eau des rivières. De nombreuses études ont révélé un fort potentiel de pollution des résidus car les particules de petite taille peuvent libérer de fortes concentrations de métaux toxiques et d’acides. Il est bien documenté que les mines de diamants au Canada, en Russie, en Afrique du Sud avec le même type de minerai que Catoca, présentent des risques de pollution en ce qui concerne les déchets miniers en raison de la libération de métaux toxiques tels que le cadmium, le cuivre, le plomb, le molybdène, le nickel et le mercure. Il est donc trompeur que les exploitants miniers de la Sociedade Mineira de Catoca décrivent les résidus comme un « mélange de roches naturelles… qui ne représente pas un risque pour la vie des populations touchées ».
Pour cette pollution de Catoca, le débat sur les conséquences et la gravité des incidents est toujours en cours, l’entreprise minimisant les impacts sociaux et environnementaux et refusant de reconnaître que le déversement a eu des effets toxiques. Depuis septembre 2021, aucune déclaration officielle n’a été publiée, ni par le gouvernement congolais, ni par le gouvernement angolais. A ce jour, ni les pêcheurs ni les communautés riveraines n’ont reçu de compensation pour les impacts négatifs sur la santé ou les pertes économiques.
Toutefois, un procès a été engagé le 21 mars 2022 contre la Sociedade Mineira de Catoca devant le tribunal de grande instance de Tshikapa pour obtenir réparation. Cet article scientifique qui vient d’être publié par des chercheurs de grande renommée constitue donc une preuve indéniable de la catastrophe environnementale due à la pollution des rivières Tshikapa et Kasaï et ses conséquences , et vient à point nommé pour soutenir les efforts de la société civile dans leur lutte d’obtenir réparation, mais aussi pour interpeller les décideurs sur la nécessité d’élaborer et mettre en œuvre un plan de gestion intégrée du bassin versant du Kasaï, avec en priorité un système de surveillance de la pollution.
Professeur Raphaël TSHIMANGA/Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo- CRREBaC