La République démocratique du Congo est l’un des plus grands pays forestiers au monde. Malgré ses massifs forestiers presque intacts, le pays n’attire pas suffisamment des capitaux et investissements conséquents. Invité de Alfredo Prince NTUMBA, le professeur Jean-Robert Bwangoyi fait sa lecture du secteur et propose des solutions susceptibles d’aider le pays à tirer réellement profit de ses forêts.
Le secteur privé, un pilier important
Environews : Est-ce qu’un programme comme le vôtre est suffisant dans la lutte contre le changement climatique ?
JRB : Nous avons une concession de 300.000 hectares pour le moment. A mon sens, au-delà des aires protégées, il faut que des superficies plus importantes de notre forêt soient mises en conservation. Il faut qu’il y ait plusieurs autres projets pour arriver à avoir des zones de conservation qui puissent générer des financements pour les communautés.
Il ne faut pas oublier que l’ennemi de la forêt, c’est la pauvreté. Lorsque les gens sont pauvres, ils vont recourir à la forêt pour pratiquer l’agriculture itinérante sur brûlis. Avec des rendements très faibles, ils sont obligés d’ouvrir davantage la forêt pour étendre leurs activités. Lorsqu’on a plusieurs sources de revenus pour les communautés, en ce moment-là, on a une grande probabilité de protéger les forêts. Et, le bon modèle n’est pas d’aller demander de l’aide publique au développement.
Le monde se développe grâce aux initiatives privées. Nous, nous croyons que si on essaie d’établir le Partenariat Public-Privé, avec les communautés locales, je crois que nous pouvons arriver à conserver pour protéger le climat, à avoir d’éco-bénéfice pour les communautés locales. Il faut le dire, dans la province de Mai-Ndombe, nous sommes sur le point de créer un Trust Fund. Un fond qui reviendra à ces communautés, dans lequel on va placer une partie des bénéfices qu’elles ont accumulées. Les intérêts générés pourront financer leurs activités.
Environews : Vendre du crédit carbone dans un pays comme la RDC qui ne dispose pas d’un registre national est-ce facile pour vous ?
JRB : Non ! Cela ne nous facilite pas la tâche. Il faudrait que le gouvernement puisse s’y pencher. Je sais qu’ils étaient déjà avancés à l’époque, il y’a eu le problème de de financement. Je pense qu’ils vont relancer avec notamment l’argent généré par la vente de crédit carbone. La quotité réservée à la CN-REDD (Coordination nationale REDD), par exemple, peut être utilisée pour créer le registre national, cela va faciliter la tâche à tout le monde. Nous, nous utilisons pour le moment VCS (The Verified Carbon Standard), et nous gardons les crédits auprès de Market qui est un registre global qui s’occupe du commerce.
Environews : Parlez-nous des chiffres. Combien de fois avez-vous déjà vendu vos crédits carbones ?
JRB : Sans violer les clauses de confidentialité que nous avons avec le gouvernement, je peux vous dire que nous avons eu énormément de problèmes pour vendre le crédit carbone depuis 2012 jusqu’en 2019. A partir de 2019, nous avons vendu une quantité de carbone substantielle. Il y a des bénéfices qui doivent aller dans les différents départements du gouvernement, mais aussi aux communautés locales.
Environews : Les forêts tropicales n’absorbent pas du carbone éternellement. Avez-vous pensé à un modèle pérenne de votre projet ?
JRB : Revenons à la science. Normalement, nos forêts ont atteint un climax. C’est-à-dire, la respiration est égale à la photosynthèse. Donc, l’arbre ne peut plus croître. Mais, les amis qui sont à Kisangani ont démontré que dans ces forêts-là, il y’a encore de la croissance. C’est-à -dire que la photosynthèse est supérieure à la respiration, il y a encore de la croissance. C’est ce que nous appelons les forêts secondaires adultes, à moment donné, elles vont attendre un climax et ne pourront plus séquestrer.
Ce qui est en cause, ce n’est pas la séquestration du carbone dans l’atmosphère. Ce qui est en cause c’est le carbone qui a été déjà séquestré et qui risque d’être mis dans l’atmosphère en cas de déforestation. C’est ça d’ailleurs le mécanisme de la REDD+. Si nous conservons ces forêts éternellement, à moins qu’il y ait un cataclysme naturel, nous aurons un mécanisme de renouvellement. Les vieux arbres vont tomber, et les clairières vont permettre à ce que les jeunes arbres puissent pousser et séquestrer le carbone. On est dans un système d’équilibre. Je dois vous dire que nous sommes dans le mécanisme REDD+. Nous ne gagnons pas de crédits sur les forêts en croissance.
Environews : Face aux défis climatiques, quelle lecture faites-vous de la contribution des forêts congolaises, et du programme comme le vôtre ?
JRB : Contrairement à ce que nous pensons, nos forêts sont aussi l’objet d’un recul important. Les zones comme le Sud Ubangi et la Mongala sont des zones où il y a une forte activité humaine, et qui connaissent une forte dégradation forestière. Si aujourd’hui, la forêt congolaise partait en fumée, elle contribuerait aux émissions de l’ordre de 10 à 15%. Il est important de garder cette forêt là en bonne santé.
Il y a un autre phénomène auquel nous n’avons pas tenu compte jusque-là. Vous voyez, le Mai-Ndombe est noire. Elle est noire à cause des acides organiques. Donc, du carbone qui est dissous dans cette eau. Si nous essayons de voir la quantité de carbone recueilli au niveau des arbres et stockée dans les eaux noires de la cuvette, pour ensuite être piégée dans les océans, il y’a lieu de mener des études pour en connaître la concentration.
Vous avez les tourbières. Il faut réaliser quelle quantité de carbone organique est contenue dans ces tourbières. Il n’y a pas que ça, les sols marécageux contiennent beaucoup de carbone organique. C’est pour toutes ces raisons que notre forêt est le poumon de la planète.
Environews : Merci beaucoup professeur Jean-Robert Bwangoyi pour avoir accepté notre entretien.
JRB : C’est un plaisir d’avoir échangé avec vous Monsieur le journaliste !
Environews : Voici ce qu’il faut retenir sur le travail de Wildlife Works Carbon en Afrique
République démocratique du Congo (Mai-Ndombe) :
Crédits émis à ce jour : 31 millions de tonnes
Modèle de revenus : Premièrement, le gouvernement de la RDC reçoit 0,50 $ par hectare en compensation de la perte des droits d’exploitation forestière. Ensuite, 25% des revenus vont aux collectivités locales en payant des projets de développement demandés et démocratiquement décidés par les collectivités et formalisés dans des contrats appelés Cahiers des Charges.
Wildlife Works couvre ensuite les dépenses de fonctionnement du projet qui varient d’une année à l’autre. Après avoir déduit ce qui a été dépensé pour les activités de Cahiers des Charges et les dépenses d’exploitation du projet, le reste des revenus des ventes de crédit est réparti entre le gouvernement de la RDC et Wildlife Works.
Au Kenya (Kasigau) :
Crédits émis à ce jour : 20 millions de tons
Modèle de revenus : Premièrement, 33 % des revenus sont partagés avec les propriétaires fonciers de la communauté. La part suivante sert à couvrir les coûts d’exploitation du projet qui varient d’une année à l’autre.
Ensuite, tout ce qui reste est réparti à parts égales entre la fiducie communautaire (les fonds qui sont dépensés démocratiquement par le biais de la structure de gouvernance du Comité local du carbone) et Wildlife Works, utilisé pour couvrir les frais de notre siège social mondial.
Dans le corridor de Kasigau, le financement direct aux communautés locales dépasse en fait 50 % et est plus proche de 70%
Globalement, la politique de Wildlife Works Carbon prévoit de fournir pour chaque projet, au moins 50 % des revenus carbone directement aux partenaires de la communauté locale, avec 70 % des revenus restant dans le pays. Le financement direct prend la forme d’un paiement direct à la fiducie appartenant à la communauté, qui décide démocratiquement comment cet argent est dépensé, des activités de projet demandées par les communautés qui sont financées par le budget de fonctionnement de Wildlife Works Carbon et la création d’emplois pour les communautés locales.
Interview réalisée par Alfredo Prince NTUMBA