Forêt : Félix Lilakako, « Gouvernance forestière en RDC, c’est une erreur grave que de laisser de cote le cadastre forestier » (Tribune)

Contexte

La promulgation en RDC du code forestier en 2002 est une avancée très significative dans la gestion durable des ressources forestières et la lutte contre les méfaits du changement climatique. Il a le mérite d’apporter plusieurs innovations contrairement au régime forestier d’antan. Au nombre desquelles figure la création d’un « Cadastre Forestier » au niveau central et provincial. Le Code forestier prévoit même la possibilité de création de deux ou plusieurs cadastres au sein d’une même province, suivant le contexte et les nécessités locales.

En effet, selon le code forestier (art.28), le Cadastre forestier a pour mission d’assurer la conservation des titres et/ou des actes forestiers. Les modalités d’organisation et de fonctionnement de ce service sont déterminées par un texte réglementaire, à savoir l’Arrêté Ministériel n°033 du 02 octobre 2006 portant organisation et fonctionnement du cadastre forestier, qui énumère notamment ses missions.

Suivant cet arrêté, le Cadastre forestier national est dirigé par un agent de carrière de services publics ayant rang de Directeur. Cela sous-entend l’existence d’une Direction du cadastre forestier. Il importe de signaler que la réforme institutionnelle des services du Secrétariat Général chargé de l’environnement entreprise par l’Arrêté Ministériel n°CAB.MIN/MBB/SGE/GPFP/JSK/035/2009 du 20 Mars 2009 portant agreement provisoire du cadre et des structures organiques du Secrétariat Général de l’Environnement et Conservation de la Nature, constituait un recul dans la mise en œuvre de l’arrêté 033 susmentionné en faisant du Cadastre forestier une Division au sein de la Direction de Gestion Forestière (GDF).

Cette situation a été régularisée par l’Arrêté Ministériel n°016/ME/MIN.FP/2017 du 4 Aout 2017 portant agreement provisoire du cadre et des structures organiques du Secrétariat Général à l’Environnement et Développement Durable, réaffirmant les dispositions de l’article 3 de l’arrêté n°033 du 02 octobre 2006 portant organisation et fonctionnement du cadastre forestier. Dès lors le Cadastre Forestier est une « Direction spécifique » du Secrétariat Général à l’Environnement et Développement Durable. 

1.    Quelle est l’importance du Cadastre forestier ?

Le cadastre forestier joue un rôle dont la nécessité est irréfutable dans le secteur forestier. Il contribue à la résolution de l’épineuse question d’empiètement et de chevauchement des titres forestiers et renforce la démarcation entre le régime forestier et le régime foncier tel qu’énoncé par le Code forestier de 2002.

En outre, selon le Code forestier, le Cadastre Forestier devrait constituer une banque de données susceptible de permettre au Ministère chargé des forêts d’élaborer la politique forestière sur base des informations fiables qu’il détiendrait, etc.

Ainsi le Cadastre s’avère être important particulièrement à cause du double rôle qu’il remplit à savoir, celui d’assurer le gardiennage des documents relatifs à la gestion des forêts et celui d’en assurer la protection juridique[1].                              

2.    Quel rapport institutionnel existe-t-il entre le cadastre forestier et les autres cadastres (minier & foncier) ?

Le Cadastre forestier comme service de conservation des titres du domaine forestier, est appelé à fonctionner en synergie avec les services similaires des Ministères dont les activités ont une incidence sur les forêts, notamment les Affaires foncières, les Mines et même l’Agriculture[2].

Par ailleurs, selon le code minier, le Cadastre minier est un établissement public chargé de la gestion du domaine minier ainsi que celle des titres miniers et des carrières et placé sous la tutelle du ministre[3]. Alors que la loi foncière, ne définit pas expressément le cadastre foncier mais en donne des attributions[4]

En effet, les Cadastres minier et foncier sont, chacun en ce qui le concerne, chargé d’assurer un archivage des titres délivrés dans le cadre de leurs attributions. Cela revient à dire qu’il y a inscription du titre minier délivré au cadastre minier pour ce qui est des mines, ainsi que l’enregistrement de tout certificat d’enregistrement ou contrats de concession dans le livre d’enregistrement.[5]

Il importe de souligner qu’au regard des attributions respectifs des cadastres susmentionnés, une collaboration institutionnelle et régulière serait souhaitable en vue de l’amélioration de la gouvernance forestière dans la mesure où, les informations qui y découleront contribueraient entre autre à la résolution de nombreuses questions sectorielles dont le chevauchement des titres d’occupation et utilisation des espaces mais aussi à la prévention d’éventuels conflits dans les affectations des terres.

A ce jour, il est malheureusement constaté qu’un tel rapport semble moins entretenu ou carrément inexistant. Une situation impactant négativement la bonne gouvernance forestière en RDC. Le secteur de l’Environnement hissé en Vice-Primature pourrait prendre cette initiative en instituant après approbation du Conseil des Ministres, un cadre formel et permanent de concertation intersectorielle.

3.    Quel est l’impact du cadastre forestier dans la gouvernance forestière ?

Bien que le Cadastre forestier soit créé par la Loi de 2002 portant code forestier et, concrétisé par l’Arrêté N°033 de 2006 ci-haut évoqué, force est de constater que son fonctionnement se heurte à plusieurs difficultés d’ordre opérationnel. A ce jour, le Cadastre forestier ne possède presque pas de représentation provinciale, la banque de données n’est pas encore constituée. L’on se demande où serait alors stocké tous les documents cadastraux forestiers ? Sont-ils dispersés ? Auprès de qui ?

Le texte règlementaire portant composition, organisation et fonctionnement du Conseil Consultatif National des Forêts renforce la reconnaissance du pouvoir du Cadastre forestier en faisant du Directeur du Cadastre forestier un des secrétaires de ce Conseil[6], qui est un organe qui a pour mission de donner des avis préalables[7] entre autre sur tout projet relatif aux politiques, lois et règlements se rapportant à la gestion des forêts et au domaine forestier.

4.    Que retenir ?

Le cadastre forestier entendu comme service de conservation des titres forestiers et autres documents utiles constitue une base sur laquelle les parties prenantes intervenant dans le secteur forestier doivent s’appuyer pour la bonne gouvernance du secteur forestier notamment par la prise de décision éclairées, pour une meilleure conservation des titres forestiers (contrats de concession forestiers d’exploitation ou de conservation, concession forestières des communautés locales, etc.).

Le Cadastre forestier peut également être considéré comme un outil important pour la prise de décision dans le secteur. Il est aussi considéré comme un outil de redevabilité du Ministère de l’Environnement vis-à-vis de ses partenaires. Les chercheurs, les organisations de la société civile, le secteur privé, les partenaires au développement du secteur et autres devront se référer au Cadastre forestier pour des informations à toutes fins utiles.

Certes, le plus grand écueil demeure autour de l’inopérationnalité du Cadastre forestier, alors que des fonds sont alloués au Gouvernement pour le secteur forestier et mobilisés par les partenaires au développement pour appuyer la RDC dans la bonne gouvernance du secteur forestier. Quel résultat le pays veut atteindre à l’horizon 2030 s’il n’est pas mis en place un système de documentation cartographique des étendues forestières en RDC ? Alors que la RDC est fortement engagée dans le processus de l’aménagement du territoire, quel serait la contribution du Ministère de l’Environnement et Développement Durable à la gestion des espaces forestiers si son Cadastre n’est pas opérationnel tant au niveau central qu’en provinces ? Quel est la suite réservée à toutes les initiatives ô combien importantes du secteur forestier comme les Programmes Intégrés REDD+ (PIREDD) si le pays n’a pas un système de gestion des actes constitutifs des droits réels sur les espaces forestiers ? Comment est-ce que la RDC évaluera-t-elle son niveau d’engagement au Défis de Bonn sur la Restauration des Paysages Forestiers sans un Cadastre forestier opérationnel ? Et les peuples autochtones, comment arriveront-ils à réussiront-t-ils à obtenir la garantie de la sécurisation de leurs espaces de vie communément appelés « Aires de Patrimoine Autochtones et Communautaires (APACs) ? Le secteur privé, longtemps victime des conflits d’usage et d’occupation des terres, mieux de chevauchement des titres, comment pourrait-il obtenir une sécurisation des investissements sans un meilleur système d’archivage des titres forestiers ? Ainsi de suite…

Ainsi, pour l’accomplissement efficace des missions lui dévolues, nous pensons qu’il est plus qu’urgent pour la Vice-Primature à l’Environnement de (d’) :

ü rendre réellement opérationnel le cadastre forestier et lui doter des moyens techniques et financiers conséquents pour son fonctionnement au niveau central et en provinces ;

ü renforcer les capacités techniques et managériales de son personnel afin de lui permettre d’être actif dans le secteur;

ü sensibiliser le public sur l’importance et le rôle du Cadastre forestier ;

ü permettre au Cadastre forestier de jouer un rôle important dans différentes structures de partage des données et d’informations entres les cadastres d’autres ministères ayant incidence sur les forêts et le cadastre forestier ;

ü orienter les partenaires techniques et financiers du secteur forestier à maximiser les appuis vers l’opérationnalisation du Cadastre forestier en vue de sécuriser divers investirent dans le secteur vert en RDC.

Me Felix Credo LILAKAKO MALIKUKA

Avocat à la Cour- Expert en droit de l’environnement

Président de l’ONG Juristes pour l’Environnement au Congo

Contact : E-mail : felixcredo@gmail.com +243819940015

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