Depuis plus de deux décennies, l’Union européenne investit dans la conservation de la méga biodiversité congolaise. Entre 2015 et 2020, le pays a bénéficié d’environ 140 millions d’euros de 11ème FED (Fonds européen d’investissement) injectés dans les différents programmes et projets de conservation de 4 grands parcs nationaux (Salonga, Virunga, Garamba, complexe Upemba-Kundelungu) en partenariat avec ICCN ainsi que dans la réserve de biosphère de Yangambi au cœur de la Tshopo et à l’Université de Kisangani. Des investissements sur le long terme qui, de plus en plus, portent des résultats escomptés, avec un impact positif sur la conservation de la biodiversité et aussi sur les moyens de subsistance des communautés vivant autour de ces aires protégées.
Renaissance des filières agricoles
Grâce aux financements de l’UE dans la conservation, des filières agricoles jadis abandonnées et pourtant considérées comme moteurs de développement économique renaissent de leurs cendres. Les filières cacao, café et palmier à huile autour du parc national des Virunga, le café, et le riz à la Salonga, les cultures agro forestières à Yangambi, illustrent cette renaissance agricole. Bientôt, la filière hévéa (au Sankuru, proche de l’INERA Mukumari) pourrait encore revivre ses beaux jours.
“Nous venons d’installer le Centre de traitement et d’achat de café à Boende (Province de la Tshuapa). La filière emploie plus de 1000 fermiers qui produisent du café de bonne qualité”, a informé Willy Bitwisila, représentant de l’ONG ISCO.
L’émergence de la filière cacao autour du Parc national des Virunga par exemple a permis d’organiser les fermiers en coopératives. Cette filière emploie plus de 1000 agriculteurs-producteurs dans la région de Mutwanga (Ruwenzori) et des dizaines de milliers au Nord Kivu et Ituri, quand on prend en compte d’autres appuis hors UE et du secteur privé (ESCO Kivu, FOPAK).
Grâce à son unité de transformation, La Fondation Virunga produit du chocolat de haute qualité made in RD Congo qui se vend désormais dans des supermarchés de Kinshasa. L’usine de Mutwanga va être agrandie prochainement avec l’arrivée d’un nouveau torréfacteur, et son potentiel de production sera multiplié par 4.
Intérêts communautaires au cœur de la conservation
La stratégie de la conservation communautaire mise en place par l’ICCN prévoit l’implication des communautés dans les efforts de conservation de la biodiversité. En retour, les efforts des communautés sont compensées grâce au financement par l’ICCN et ses partenaires des projets de développement communautaire.
“Nous avions compris qu’il fallait trouver les alternatives afin d’impliquer les communautés à préserver leurs patrimoines naturels, pour qu’elles s’approprient la conservation”, a indiqué le docteur Cosma Wilungula, directeur général de l’ICCN (Institut Congolais pour la Conservation de la Nature).
Cette approche a permis à l’Union européenne de diversifier ses investissements dans les 4 parcs d’intervention et zone de biosphère. “Les financements de l’Union européenne ont évolué. Aujourd’hui, ils concernent à 50% les activités du parc. Et, l’autre moitié, soit 50% appuient le développement des communautés en périphérie des parcs”, a précisé Alain Huart, chef de mission à la Cellule technique d’appui au programme Environnement et Agriculture durable de l’Union européenne.
“Souvent nous recevions cette question de communautés : Qu’est-ce que le parc fait pour nous? Toutes les activités menées autour des parcs, allant de l’agriculture à l’hydroélectricité sont une réponse à cette question. C’est la conciliation de la conservation et le développement”, a renseigné le dg de l’ICCN.
Agriculture durable, un moteur de développement
Loin d’être une simple alternative à l’agriculture itinérante sur brûlis, l’agriculture dite durable sédentarisée se présente à ce jour comme un véritable moteur de développement pour les communautés riveraines des parcs.
“L’agriculture durable est un moteur de développement et une des solutions qui répond mieux aujourd’hui. Même demain, elle répondra davantage. Que les autres bailleurs et partenaires ne laissent pas l’Union européenne, seule, soutenir cette agriculture durable”, a lancé le dg de l’ICCN.
Avec cette agriculture durable sédentarisée, … plus besoin pour les communautés d’aller à la quête de nouvelles terres et d’aller détruite plus loin la forêt. La fertilisation se fait sur les vieilles terres, les cultures se diversifient et les rendements sont meilleurs. A Salonga, une plante de couverture, le mucuna, en alternance avec la culture de manioc, permet de restaurer la fertilité de sols abîmés (et ainsi il n’est plus besoin de brûler la forêt).
Pour dissiper les conflits récurrents qui existaient jadis entre les communautés et les éco gardes, un travail important a été fait dans le sens de faciliter la communication entre les communautés riveraines de ces différents parcs et les rangers.
Si auparavant, le climat entre les communautés et les éco gardes dans plusieurs parcs était délétère, il s’observe aujourd’hui, une nette réduction des conflits. D’importants moyens financiers ont été injectés dans l’encadrement des communautés.
Des dizaines de milliers de ménages se sont organisés en Comités locaux de développement (CLD), entité de gouvernance de leur terroir, et ils sont formés aux nouvelles pratiques agricoles et dotés des semences améliorées qu’ils reproduisent eux-mêmes.
“Promouvoir des modèles agricoles, empêchent désormais les paysans à pratiquer l’agriculture sur brûlis. Il y a environ 4500 ménages regroupés en 150 CLD que nous appuyons. D’ici la fin de l’année, nous comptons atteindre 6 000 ménages”, a précisé le représentant de l’ONG ISCO (Territoires de Boende et Bokungu en province de Tshuapa).
Grâce à cette approche (Conserver c’est développer) , les ménages encadrés ont vu se multiplier leurs rendements agricoles. Avec l’appui de l’Union européenne, certaines communautés autour du parc national de la Salonga par exemple, et le long de la rivière Lukenie s’organisent (avec l’appui d’OXFAM et de WWF, sous contrat à Salonga ) évacuent leurs produits agricoles dans les grands centres de consommation, notamment à Kinshasa.
“Avec les revenus qu’ils ont, ils arrivent à payer les frais de santé, la scolarisation des enfants ; dans la région de Dekese, Bongimba, ils achètent aussi des tôles et du ciment pour la maison, des motos et de la bureautique (cyber café). Avec tout ceci, il y’a amélioration du rapport entre le parc et les communautés”, a précisé le directeur du parc, Pierre Kafando.
Selon le Dg de l’ICCN, l’agriculture durable aide à ce que les communautés se retrouvent dans les efforts de la conservation, et ce sont les aires protégées qui en sortent ragaillardies.
L’Etat doit s’approprier les acquis
L’agriculture itinérante sur brûlis reste un puissant moteur de déforestation en République démocratique du Congo. Pratiquée à plus grande échelle, elle menace l’avenir des forêts congolaises sur la durée. Consciente de cette menace, l’Etat congolais s’emploie à lutter contre cette pratique.
“Le processus REDD nous aide beaucoup avec la promotion des nouvelles pratiques, ce qu’on appelle communément agriculture durable. Ce sont ces pratiques durables qui peuvent nous aider à freiner la déforestation et la dégradation de nos forêts”, a déclaré Benjamin Toirambe, secrétaire général à l’Environnement et Développement durable.
Tout projet ayant toujours une durée bien déterminée, le gouvernement congolais devra en effet capitaliser les différents résultats obtenus à ce jour dans le cadre de projets exécutés sur terrains avec les financements de l’Union européenne. Dans ce contexte, l’ICCN a signé des contrats de partenariat « moyen, long terme » avec les opérateurs de parcs (Fondation Virunga, African parcs APN à Garamba dans la province de Haut Uele,…) afin de garantir la continuité du financement dans la durée
“Quand on apporte un appui aujourd’hui, il n’est pas assez durable. Il faut que l’Etat prenne les choses en main. Donner à ces communautés de l’espace pour continuer à travailler d’une manière durable. Penser le contraire et attendre … ce n’est pas bien”, a appelé Monsieur le Secrétaire Général Toirambe.
L’Etat congolais à travers l’ICCN devra s’ouvrir à d’autres partenariats afin de focaliser les efforts et garantir un avenir meilleur aux communautés vivant dans et autour des aires protégées. Ainsi, ces communautés comprendront que le patrimoine conservé ne l’est pas seulement pour l’Etat, mais plutôt pour leurs propres intérêts.
Alfred NTUMBA