Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi a annoncé sa volonté d’organiser les états généraux des forêts congolaises, d’ici fin 2020. Il l’a fait savoir au cours de la 45ème session du Conseil des ministres tenu le vendredi 21 août dernier à Kinshasa. Dans cette interview, nous analysons avec Alain Parfait Ngulungu, expert au Groupe de travail sur la Gouvernance forestière (GTGF) au sein de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC/Cameroun) sur les enjeux et le design d’une telle grande messe. Il en aborde aussi son impact sur l’amélioration de la gouvernance forestière et le renforcement du leadership de la RDC dans le débat international sur les changements climatiques et la révision des Contributions déterminées nationales (CDN). Propos recueillis par Alfred Ntumba à Kinshasa
Environews : Quels pourraient être, selon vous, les objectifs assignés aux états généraux du secteur forestier en RDC ?
Alain Parfait : Sans fausse modestie, il me semble qu’il est difficile de répondre à une telle question : simplement parce que je ne suis pas l’entité organisatrice. Encore moins, ma modeste personne, du moins, n’est pas encore associée officiellement à la réflexion ou aux travaux concourant à la préparation de cet évènement. Toutefois, pour étancher votre curiosité, j’estime qu’organiser un tel forum devrait avoir comme objectif global : réaliser un état des lieux de la ressource forestière et d’analyser les mécanismes ayant conduit à sa gestion actuelle en vue de proposer des solutions idoines de gestion durable du secteur forestier sur les plans environnemental, économique, social et institutionnel pour les décennies à venir. Profitant de ce larron, on peut y ajouter aussi les sous-secteurs de la faune et de l’eau dans ce « débat national ».
Environews : Quelles sont les enjeux actuels de ces secteurs en RDC
Alain Parfait : A l’aune de la lutte contre les changements climatiques, les forêts Congolaises revêtent le caractère d’un patrimoine public, essentiel pour la survie de millions de gens parmi les plus pauvres du monde, et pour la régulation climatique mondiale. Son passif de mauvaise gestion d’avant 2002, et même actuelle, n’est plus une excuse éternelle auprès de l’humanité. Il nous faut des réformes structurelles pour booster ce secteur pour contribuer à la croissance durable. D’où, l’enjeu réel a toujours été d’identifier les véritables problèmes du secteur forestier en RDC avec ses dégâts irréversibles à la société et à l’environnement. Tant, il est vrai de casser l’inaction politique d’un Etat qui regorge 155,5 millions d’ha des forêts denses et humides tropicales du second Bassin forestier, après celui de l’Amazonie. Puisqu’à en croire Global Forest Watch, la RDC continue à perdre son capital forestier à un rythme croissant depuis le début de ce siècle. Avec une réduction de la superficie de ses forêts primaires de 481 000 ha, la RDC est classée 2ème pays derrière le Brésil et devant l’Indonésie parmi les pays les plus affectés par le recul des écosystèmes arborés. Ainsi, elle en a perdu 6 % de son couvert forestier en 15 ans. Le premier défi est donc celui d’endiguer la déforestation orchestrée par plusieurs moteurs en RDC où plusieurs acteurs sont mis en cause, à savoir l’Etat, propriétaire des forêts et les communautés rurales.
Environews : Comment donc accusez-vous l’Etat et les communautés d’être à la base de la déforestation ?
Alain Parfait : Vous ne le savez peut-être pas. L’étude sur les moteurs de la déforestation et dégradation des forêts de 2012 a mis en exergue, notamment : l’agriculture itinérante sur brûlis comme l’une de premières causes. Mais, celle-ci est orchestrée par les communautés rurales. Alors, les états généraux du secteur forestier nous permettront de nous regarder en face et tenir le taureau par les cornes pour dire à l’Etat que « l’absence de l’application des lois forestières et contrôle forestier » ont un effet induit dans l’expansion de l’exploitation forestière illégale et la dégradation. Je ne voudrais pas parler des industries forestières dont la situation est encore plus grave.
Environews : Quel serait le design à mettre en place pour matérialiser cette volonté du président de la République d’organiser ces assises ?
Alain Parfait : Il s’agira de mettre en place un Task force, plusieurs mois avant décembre 2020. Ce groupe de travail aurait pour tâches, notamment : (i)d’établir et partager une liste d’études sous-sectorielles ; (ii) d’identifier les sources de données et statistiques disponibles au niveau national (données issues du Ministère de l’Environnement et développement durable et celle des finances, spécialement sur la fiscalité et parafiscalité forestières) ; (iii) de rassembler un maximum des données statistiques nationales et provinciales ou initiatives dans le secteur forestier en vue de dresser un inventaire du cadre réglementaire et juridique des sous-secteurs concernés par les états généraux ; (iv) de recueillir les points de vue des différents acteurs clés du secteur (partenaires au développement, agents administratifs, universitaires, représentants des communautés locales et peuples autochtones et acteurs de la société civile). Certainement, après cette phase, on aura une vue globale ou design de travaux de l’état des lieux souhaité ainsi qu’un diagnostic des causes ayant entraîné cet état des lieux. Ensuite, sur la base des pratiques internationales en termes de gestion durable des ressources forestières, une formalisation des recommandations sera faite en vue de permettre de convoquer l’ouverture solennelle des travaux à placer sous le haut patronage du Président de la République. Ces travaux devraient par l’Exécutif sous la coordination technique de la Direction générale des forêts sous la tutelle du Ministère en charge des forêts.
Environews : Et, à la fin, les rapports de ces états généraux seront jetés dans les calendes grecques, comme on en fait d’autres conférences et ateliers…
Alain Parfait Ngulungu : Non. Je crois que les temps ont changé et peut-être les mœurs vont suivre cette cadence. Les états généraux du secteur forestier sont un gage du leadership politique actuel d’améliorer la gouvernance forestière en RDC. Il faudra saluer l’action politique du Ministre Claude Nyamugabo sous la férule du Président Félix Antoine Tshisekedi. C’est vrai qu’à ses débuts, il y a eu beaucoup de malentendus et suspicions sur son agir politique à la tête de ce Ministère. Mais, à voir de près ses réalisations et son esprit d’ouverture, je pense que la RDC a, maintenant, un leadership sur qui l’on peut compter pour nous permettre de participer sereinement au débat international sur les changements climatiques. Sur base de cette affirmation, je puis affirmer que nous devons unir nos forces pour que les recommandations résultant de ces états généraux servent de boussole pour orienter les réformes institutionnelles, socio-économique et environnementale dans le secteur forestier en RDC. Faudra-t-il le rappeler aux Congolais, comme aimait le ressasser, Antoine de St Exupéry : « nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants». Nous avons donc cette mission, conformément aux Objectifs de développement durable (ODD) de léguer aux générations présentes et futures, des ressources forestières viables devant contribuer à l’équilibre climatique mondial et non à sa dérégulation!
Alfred NTUMBA