Santé : L’énergie propre est essentielle pour la réponse à la Covid-19 dans les pays les plus pauvres du monde (Tribune)

Par Tosi Mpanu Mpanu, Youba Sokona et Yacob Mulugetta

La pandémie de Covid-19 a ébranlé les gouvernements et les populations du monde entier. Elle a submergé les systèmes de santé et porté atteinte à la vie et aux moyens de subsistance des personnes les plus vulnérables. Elle a, en outre, déstabilisé les marchés financiers, déclenché des crises sur les marchés du pétrole et de l’énergie, et provoqué une perturbation majeure des activités économiques.

Les répercussions ont été, jusqu’à présent, profondes, mais pour de nombreux pays et de nombreuses personnes, le pire reste à venir. Les plus menacés sont les pauvres et les vulnérables, ainsi que les pays aux capacités et ressources limitées.

La crise a mis en évidence la nature fortement interconnectée de notre monde et l’importance de bâtir des économies et des sociétés plus inclusives, plus résilientes et plus équitables.

À quelques exceptions près, la pandémie révèle que tous les pays – quels que soient leur richesse, leur capacité, leur technologie ou leurs infrastructures – n’étaient absolument pas préparés à mettre en place une réponse rapide et efficace de l’ampleur nécessaire.

Il ne fait aucun doute que dans l’immédiat, la priorité doit rester de contrôler l’épidémie, de sauver des vies et de limiter les effets néfastes en cascade.

Dans le cadre de la réponse à la pandémie, les gouvernements, en particulier ceux des pays riches (par exemple les membres du G7 et du G20), envisagent également des plans et des mesures pour stimuler l’économie et permettre la reprise, en vue d’une prospérité économique à plus long terme.

En revanche, dans les pays les moins avancés (PMA), où l’économie est dominée par le secteur informel, les réponses resteront au mieux aléatoires, les efforts restant concentrés uniquement sur la gestion des risques immédiats créés par la pandémie.

La pandémie de Covid-19 nous enseigne plusieurs leçons essentielles et présente une voie possible pour des sociétés plus résilientes et plus prospères :

  • La plupart des pays n’ont pas élaboré des stratégies et des systèmes de réponse adéquats pour faire face aux crises mondiales, et cette capacité est plus faible dans les pays les moins avancés ;
  • L’ampleur des mesures de relance et de la reprise des dépenses publiques résultant de la pandémie offrent la possibilité d’investir dans de nouvelles voies de développement durable et véritablement axées sur la population; et
  • Pour les pays les plus pauvres, les efforts de relance devront être complétés par un soutien mondial coordonné, fondé sur une société inclusive et solidaire.

Ces enseignements, s’ils sont pris en compte, devraient améliorer les résultats en matière de santé, tout en préparant le terrain pour un développement à plus long terme qui permette le bien-être pour tous.

Une partie essentielle des mesures de réponse à la crise est la question fondamentale de l’énergie en tant que facteur primordial du développement et de la bonne santé. Le passage d’une énergie sale à une énergie propre est une étape essentielle pour intégrer les priorités en matière de santé, d’énergie, de climat et autres. La pollution due aux combustibles fossiles tue des millions de personnes et a aggravé les effets des maladies respiratoires préexistantes. Les conséquences sanitaires de l’augmentation du réchauffement climatique sont inimaginables.

Le modèle de fourniture d’énergie est indispensable. Les énergies renouvelables décentralisées et axées sur la demande peuvent alimenter les établissements de santé ruraux et périurbains et les systèmes d’assainissement et d’hygiène, et permettre une irrigation et une agriculture efficaces partout dans le monde. Un meilleur accès à l’énergie propre rend les communautés plus résilientes aux chocs sanitaires et autres, et est essentiel pour le développement économique.

Les PMA sont les 47 pays les plus pauvres du monde et font face à des défis structurels importants en matière de développement durable. Dans le contexte de l’Accord de Paris, aligné sur la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies et de leurs priorités nationales de développement, ils sont les pionniers d’une approche de la transformation énergétique qui peut servir de modèle aux pays pauvres comme aux pays riches.

Cependant, la solidarité et un soutien adéquat seront nécessaires pour permettre aux PMA de concrétiser cette vision, afin de bâtir une société post-Covid-19 plus résiliente.

A travers leur « Initiative pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique » (REEEI), les PMA appellent à une approche plus intégrée de l’énergie et du développement. Cette approche se concentre sur trois objectifs principaux :

  • En premier lieu, elle appelle à un accès à 100% à une énergie suffisante, abordable, moderne et propre pour tous les citoyens des PMA d’ici 2030, reconnaissant que l’accès à l’énergie est essentiel pour répondre à tous les besoins, y compris ceux liés à la santé publique.
  • Deuxièmement, elle vise à ce que tous les PMA produisent 100% de leur électricité à partir de sources d’énergies renouvelables d’ici 2050 au plus tard, afin de répondre à tous les besoins de leurs citoyens, de leurs services sociaux et de leurs industries, en mettant l’accent sur des systèmes énergétiques à faible émission en carbone qui sont axés sur les personnes et contribuent à freiner le changement climatique.
  • Et troisièmement, elle exige une utilisation à 100% du potentiel d’efficacité énergétique par la mise en œuvre complète des meilleures pratiques et de la planification d’ici 2040. Elle reflète le fait que les économies d’énergie permettent d’économiser de l’argent et libèrent à la fois de l’énergie et des fonds pour d’autres objectifs importants.

Cette approche, lancée par les pays les plus pauvres, comprend des éléments qui pourraient inspirer d’autres pays dans le cadre de leurs plans de relance immédiate.

Tous les pays doivent renoncer aussi rapidement que possible aux systèmes énergétiques centralisés basés sur les combustibles fossiles pour se tourner vers des systèmes plus décentralisés utilisant 100% d’énergies renouvelables si nous voulons avoir une chance de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C ou 2°C.

Le système des énergies renouvelables de demain peut également soutenir le développement des sociétés plus saines, plus résilientes, plus prospères et plus égalitaires. L’initiative PMA REEEI définit spécifiquement une vision non seulement du changement de combustibles, mais aussi de passer à de nouveaux systèmes énergétiques centrés sur les personnes, intelligents, distribués et principalement décentralisés.

Heureusement, le soleil et le vent existent partout et la plupart des PMA disposent en abondance de ces sources d’énergies renouvelables parmi d’autres. Les énergies renouvelables peuvent être exploitées partout dans le monde par les communautés, les coopératives, les petits agriculteurs, les ménages, les écoles, les hôpitaux et les entreprises de différentes tailles.

Ces systèmes permettent à de nombreux consommateurs de devenir également producteurs d’énergie. L’agriculture à petite échelle – l’épine dorsale des économies des PMA – peut devenir plus résiliente grâce à l’énergie disponible et contrôlée localement qui alimente les pompes solaires pour l’irrigation, la réfrigération et permet la transformation et le transport des productions vers les marchés locaux.

Une énergie produite et contrôlée localement garantira une eau propre, ainsi que le fonctionnement des cliniques et des écoles. Les systèmes décentralisés permettent aux gens de travailler à distance, de localiser la production et de devenir plus résilient – autant de protections essentielles contre les futures pandémies.

La pandémie de Covid-19 a démontré que les systèmes énergétiques décentralisés ont permis de fournir des services fiables répondant aux besoins locaux de services sociaux ainsi que de soutenir les économies locales.

Grâce à cette initiative, les PMA peuvent éviter le détour des pays riches vers des systèmes énergétiques fortement centralisés et tributaires des combustibles fossiles. Au contraire, leur « saut d’étapes » directement vers ce nouveau modèle énergétique leur donne l’avantage du dernier venu.

Alors que les PMA peuvent construire des infrastructures appropriées depuis la base, les pays riches et prospères doivent transformer, retirer ou démanteler une grande partie de leurs investissements sans perspective dans les combustibles fossiles.

Il est important de noter que pour les pays les plus pauvres, les efforts visant à faire face à la crise et à s’en remettre devraient également s’aligner sur les priorités définies dans le cadre des accords internationaux tels que le Programme d’Action d’Istanbul, l’Agenda 2030 des Nations Unies sur le développement durable et l’Accord de Paris sur le changement climatique.

En fin de compte, les pays riches et pauvres devront converger – tant pour ce qui est de la mise en place des systèmes énergétiques décarbonés que de la consommation d’énergie par habitant très inégale. Cette formidable entreprise humaine doit être réalisée dans un court laps de temps pour éviter la crise climatique.

Si le cadre REEEI des PMA décrit un effort véritablement initié par les PMA avec nos pays aux commandes, sa mise en œuvre ne peut réussir que grâce à une véritable collaboration et un soutien international. L’approche décrit un modèle permettant d’encourager des investissements publics ciblés, le financement climatique et les mesures de relance économique où les PMA définissent leurs priorités et leurs visions, mais où les pays les plus riches apportent leur juste part.

Les crises actuelles, étroitement liées, de la santé, du développement et du climat offrent aux PMA l’occasion de prendre les devants pour s’inspirer mutuellement et inspirer le reste du monde. Tout comme certains PMA l’ont déjà démontré, il est en effet possible de formuler et de commencer à mettre en œuvre des trajectoires de développement alternatives qui placent résolument le bonheur et la durabilité au centre de l’élaboration des politiques de développement.

La phase initiale de la crise nous enseigne déjà d’importantes leçons. Elle démontre qu’une action précoce et éclairée des dirigeants peut sauver des vies, réduire les coûts et les impacts. Elle a révélé que les gouvernements peuvent agir à grande échelle, que les ressources publiques peuvent être mobilisées, qu’un changement de comportement est possible et que les gens vont répondre aux crises par la solidarité.

Un soutien à grande échelle est désormais nécessaire pour permettre aux PMA de faire face à la crise immédiate de Covid-19, tout en planifiant simultanément une reprise à plus long terme qui élimine la pauvreté et bâtisse des économies et des sociétés plus résilientes et à faible émission de carbone.

Tosi Mpanu Mpanu est ambassadeur de la République Démocratique du Congo et champion politique du REEEI. Youba Sokona est professeur malien de développement durable au South Centre et vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Yacob Mulugetta est professeur éthiopien de politique énergétique et de développement à l’University College de Londres et un des principaux auteurs du 6ème rapport d’évaluation du GIEC.

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