Donné pour disparu par les uns, et en état de mort cérébrale par les autres, l’Institut National d’Etude et Recherches Agronomiques (INERA) est loin de porter toutes les étiquettes qui lui sont collées. Située à Yangambi dans la province de la Tshopo, cette grande institution de recherche qui a tant fait la fierté de la République démocratique du Congo en matière agronomique est bel et bien fonctionnelle et continue de servir le pays dans plusieurs domaines, notamment dans la livraison de semences de base ou encore dans la lutte contre la mosaïque africaine de manioc.
« L’INERA n’est jamais mort comme le confessent plusieurs langues, nous sommes toujours d’actualité et en activité pour accompagner notre pays à booster son développement », a déclaré Posho Ndola, Directeur général de l’INERA Yangambi. « Dans le domaine phytogénétique, nous avons un herbarium national le plus riche d’Afrique centrale regorgeant plus 150 mille spécimens. Et nous avons un intéressant domaine de recherche qui est d’actualité, dans lequel nous faisons aussi des études sur le biotope ».
Crée en 1933 par l’arrêté royal Belge dans le but d’assurer la promotion du développement de l’agriculture congolaise, en se penchant sur les observations, les études fondamentales et les expérimentations dans le domaine agronomique, l’INERA Yangambi entend avec l’appui de ses partenaires dont le projet FORETS (Formation Recherche et Environnement dans la Tshopo) du CIFOR reprendre sa place de leader dans le monde, surtout dans son domaine de prédilection, l’agronomie.
INERA, source d’inspiration de plusieurs pays
Les résultats de recherches faites à l’INERA Yangambi ont été d’une importance capitale au point que leurs échos sont allés au-delà des frontières de la RDC, incitant ainsi plusieurs pays du monde à venir s’enquérir, voire copier ces méthodes expérimentales afin de les appliquer chez eux. Les expériences sur la culture des cacaoyers et de palmiers figurent parmi les plus célèbres qui ont intéressé certains pays, faisant d’eux à ce jour des plus grands exportateurs de certains produits agricoles.
« Notre pays n’a pas su capitaliser les résultats de recherche obtenus ici à Yangambi. Dans le cadre de notre programme élaeis, la Malaisie est venue chercher des semences de ces palmiers ici à Yangambi. Avec une bonne politique qui a appuyé les recherches et les agriculteurs, elle est aujourd’hui un grand pays exportateur de l’huile de palme. Pareil pour la Cote d’Ivoire avec le cacao », a regretté Posho Ndola.
Malgré ce triste constat, beaucoup de chercheurs congolais préfèrent mener leurs recherches ailleurs, négligeant ainsi l’INERA Yangambi qui offre à ce jour des opportunités inouïes relatives à la foresterie ou encore à l’agronomie. Néanmoins, le programme master du projet FORETS a fait que le nombre de fréquentations puisse considérablement augmenter à l’INERA Yangambi, avec des chercheurs qui viennent de l’Université de Kisangani.
Une évolution en dents de scie
La période allant de 1933 à 1940 est considérée dans l’histoire de l’INERA Yangambi comme la plus florissante au regard de la prolifération des résultats de recherche. Au cours de cette période, les recherches qui ne se faisaient que sur l’hévéa et le palmier se sont étendues du cacaoyer au caféier en passant par les cultures vivrières.
Malheureusement, cette période de gloire ne durera que l’espace d’un feu de paille car, le déclenchement de la deuxième guerre mondiale avait obligé tous les chercheurs à rentrer en Europe pour des raisons de sécurité.
Seuls les maintenanciers et gardiens étaient restés sur place. A la fin de la guerre, les chercheurs sont revenus pour continuer le travail à l’INERA Yangambi. Tout se déroulait normalement. Mais, cette reprise des activités ne sera que de courte durée car, peu de temps après c’est le vent de la décolonisation qui soufflait sur le continent africain, charriant avec lui des conséquences fâcheuses dans certains pays. Un sort auquel la RDC n’a pas échappé.
Les chercheurs européens étaient obligés de quitter encore le pays, laissant de nouveau l’INERA Yangambi dans un état d’arrêt. Une situation qui durera jusqu’en 1972, période à laquelle cet établissement avait procédé au recrutement des chercheurs.
Rappelons qu’à partir de 1960, cette institution a été mise sous tutelle de la présidence de la République. Malgré cela, le royaume de Belgique continuait d’appuyer financièrement et techniquement l’INERA, bien que les belges n’y étaient plus.
En 1974 le gouvernement avait décidé de placer l’INERA Yangambi sous la tutelle du ministère de la Recherche Scientifique, décision qui a produit des effets néfastes d’autant plus que le financement de la présidence était coupé. Au cours de la même période, le royaume de la Belgique avait à son tour décidé de suspendre son accompagnement financier et technique. Ainsi, le cocktail de ces deux mesures plongera l’institut dans une léthargie.
Comme-ci cela ne suffisait pas, les différentes guerres qui ont sévit dans l’ancienne province Orientale de 1990 jusqu’aux années 2000, à l’instar de la guerre de libération, la guerre d’agression Ruandaise et Ougandaise, ont encore porté un sérieux revers à l’INERA Yangambi, parce qu’il y a eu des matériels de laboratoire et une partie de la documentation qui ont été emportés.
INERA Yangambi, le phœnix
En dépit de toutes les périodes sombres qui ont caractérisé son histoire, l’INERA Yangambi s’affiche à ce jour comme une institution qui sait toujours se relever après chaque chute. Aujourd’hui, il se montre plus que jamais déterminé à travailler tout en multipliant des efforts, afin de reprendre sa place de leader dans le secteur de recherches agronomiques. Pour ce faire, il mène plusieurs activités en partenariat avec le projet FORETS.
« Nos collaborateurs du Musée d’Afrique Centrale ont installé ici grâce au projet FORETS, un laboratoire de biologie du bois. Ce laboratoire est le tout premier en Afrique Centrale », s’est réjoui Monsieur Posho Ndola.
La réserve biosphère de Yangambi constitue un véritable cadre qui permet à l’INERA Yangambi de faire ses expérimentations dans plusieurs domaines comme le suivi phénologique de nombreuses espèces au niveau de la réserve, les recherches dans le cadre de la dynamique de la faune en recourant aux techniques modernes.
S’agissant du programme café, des clones élites sont étudiés, pendant qu’au même moment se fait une collection des caféiers sauvages dans le but de faire de Yangambi, la première collection mondiale de caféier robusta.
Et dans le cadre du projet Yangambi Pole Scientifique (YPS), l’INERA Yangambi est en train d’installer une tour à flux dans la réserve biosphère de Yangambi. Ce premier dispositif en Afrique centrale permettra de quantifier les échanges de gaz à effet de serre entre la forêt et l’atmosphère. Ce qui aiderait la RDC à avoir les valeurs chiffrées de sa capacité de séquestration de carbone.
Pour le directeur général de cette institution, sans minimiser les efforts de ses nombreux partenaires, c’est du partenariat avec le projet FORETS que l’INERA Yangambi a repris sa vitalité. Il a cet effet invité les autorités congolaises à faire confiance à l’INERA qui est toujours prêt à accompagner le pays dans son élan de développement
Depuis Yangambi, Thierry-Paul KALONJI