C’est dans une lettre ouverte adressée à Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo et Yoweri Museveni, président de l’Ouganda , que les organisations de la société civile environnementale et des droits de l’homme de ces deux pays appellent leurs dirigeants par l’intermédiaire des ministères des énergies et des hydrocarbures à éviter la nouvelle série d’attribution des licences d’exploration pétrolière dans les écosystèmes sensibles du Rift Albertin. Un appel qui fait suite au constat inquiétant selon lequel, le cycle de licences d’exploration pétrolière prévu par ces deux pays de l’Afrique Centrale est en cours, et doit avoir lieu dans et autour du Graben Albertin, qui est un écosystème sensible d’importance nationale et internationale.
Signalons que la RDC par le biais de son ancien ministre des hydrocarbures avait déjà lancé l’appel d’offre pour l’exploration pétrolière dans les trois bassins sédimentaires couvrant 21 blocs pétroliers, dont 50 000 km dans le bassin du Rift Est, du Graben Albertin. Il a été rejoint le 10 avril 2019, par son voisin Ougandais qui à son tour a annoncé via son ministère de l’Énergie et du Développement minier (MEMD) que le pays lancera une deuxième série de licences d’exploration pétrolière en mai 2019 pour sept blocs d’explorations couvrant une distance totale de 1 200 kilomètres carrés dans le Rift Albertin.
L’un des blocs pétroliers dont l’octroi de licence est prévu est le bloc pétrolier Ngaji, qui fait partie d’un écosystème sensible et qui n’a pas été pris au piège lors de la première série de licences d’exploration, en raison de la pression publique exercée sur les sociétés pétrolières.
Une pilule qui ne passe pas
Ces organisations de la société civile environnementale et des droits de l’homme rappellent que le Graben Albertin abrite le Parc National des Virunga, dans l’Est de la RDC, classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et héberge 43% des espèces d’oiseaux d’Afrique, 27% des mammifères d’Afrique et plus de 10% de ses reptiles, amphibiens, et des plantes en plus de plusieurs espèces rares et en voie de disparition qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde.
Et ce sur même Graben Albertin que se trouvent le Parc National Queen Elizabeth et le lac Edouard en Ouganda, qui sont partagés entre les deux pays. Le Parc National Queen Elizabeth en Ouganda est également classé réserve de l’humanité et de la biosphère par l’UNESCO, tandis que le lac Edouard est classé comme site RAMSAR.
Ces écosystèmes jouent également un rôle important dans la stabilité climatologique et l’absorption de carbone et aident des millions de personnes en leur fournissant de la nourriture, de l’eau douce et des revenus provenant de l’agriculture, de la pêche et du tourisme. Ainsi, une exploitation pétrolière dans ces écosystèmes aura non seulement un impact négatif sur la biodiversité mais aussi sur les communautés qui en dépendent pour survivre, en particulier en Afrique où les activités pétrolières ont continué de causer une dégradation de l’environnement, des violations des droits de l’homme et des conflits alimentant d’exécutions extrajudiciaires, entre autres. il est de ce fait, selon la société civile de ce deux pays, totalement inadmissible que ces zones soient ouvertes à l’exploitation pétrolière.
Les conventions doivent être respectées
Il est crucial de signifier que les gouvernements ougandais et celui de la RDC sont tous deux signataires de la Convention de RAMSAR et des conventions de l’UNESCO sur la conservation, qui préconisent la conservation appropriée des sites du patrimoine mondial situés sur leurs territoires respectifs.
Ces conventions obligent tous les pays signataires à s’engager à éviter toute activité susceptible de dégrader directement ou indirectement le patrimoine culturel et naturel de ces sites. Et si l’exploration pétrolière était entreprise dans ces zones et d’autres écosystèmes sensibles, ce serait un abus de leur engagement.
En outre, l’Ouganda et la RDC sont tous deux signataires de l’Accord de Paris sur les changements climatiques. Cet accord appelle tous les pays signataires à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à limiter la hausse de la température mondiale à moins de 2 degrés centigrades ou à un niveau préindustriel de 1,5.
Ces engagements obligent tous les pays signataires à veiller à ce que toutes les activités entraînant la génération et le rejet d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère soient limitées et pour lesquelles l’exploration et la production de pétrole sont le plus grand générateur de ces gaz.
« En tant que chefs d’États, c’est votre noble démarche que de veiller à ce que nos pays respectent les engagements que nous avons pris en permettant des activités de prospection pétrolière dans ces écosystèmes sensibles », peut-on lire dans cette correspondance.
Pour ne pas priver des milliers populations d’importants services environnementaux que rendent ces zones, ces organisations qui défendent l’environnement appellent avant tout à l’annulation pure et simple de ce projet dans des blocs se situant dans les écosystèmes sensibles, avant de formuler un certain nombre de recommandations aux présidents Tshisekedi et Museveni.
Elles invitent donc les deux pays à travailler ensemble pour harmoniser les lois sur les hydrocarbures et les lois connexes en matière de conservation et de partage des avantages des ressources naturelles avant l’ouverture de tout nouveau processus d’exploration dans les écosystèmes partagés d’Albertine Graben, respecter l’engagement national et international de lutter contre le changement climatique et amplifier les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre conformément aux objectifs et engagements mondiaux, et promouvoir le tourisme en tant que moteur du développement économique durable et des moyens de subsistance des communautés
Thierry-Paul KALONJI