« J‘avais un immense stress. Puis de l’insomnie mêlée au cauchemar toute la nuit », raconte la sœur Darlène Mwasi, infirmière titulaire du centre de santé de référence de Mangina, à plus de 30 kilomètres au sud-ouest de la ville de Beni, dans le Nord Kivu. Dès la confirmation officielle le 1er août 2018 du fait que le virus mortel d’Ebola était bel et bien arrivé à Mangina, puis dans le centre de santé de référence du même nom, « j’avais eu des larmes aux yeux ; c’était pour moi un choc jamais vécu auparavant », ajoute la religieuse.
Enregistrée comme étant la dixième épidémie de la maladie à virus Ebola, souche Zaïre, touchant la République Démocratique du Congo en moins d’une semaine après la déclaration de la fin de celle qui touchait la Province de l’Equateur depuis mai 2018, cette pathologie hautement mortelle a fait son apparition dans une zone volatile et imprévisible du fait de la présence des groupes armés (à plus de 2500 kilomètres de Kinshasa).
L’analyse des six premiers échantillons, dont quatre testés positifs au laboratoire national de l’INRB (Institut national de recherche biomédicale) a confirmé ce que tout le monde redoutait, à savoir : l’Est de la RDC était à son tour touché.[irp posts= »5928″ name= »Santé : l’insécurité au Nord-Kivu menace la riposte contre l’épidémie d’Ebola »]
Les mots semblent manquer à la religieuse pour décrire une situation d’urgence sanitaire assez inhabituelle, à ses yeux, qui survient dans son centre de santé. Les premiers cas suspects y étaient admis fin juillet 2018, avec des patients présentant les signes tels que la fièvre intense et brutale, accompagnée de frissons, la diarrhée, les vomissements ou encore la fatigue extrêmement intense.
« Nous avons cru, au départ, qu’il s’agissait des cas de paludisme grave, comme on en avait l’habitude ici. Et, comme vous le savez, nos agents de santé étaient les premiers à recevoir et à examiner les patients affectés sans équipement de protection individuelle », explique la sœur Darlène Mwasi. Depuis, « nous comptabilisons à ce jour huit de nos infirmiers hospitalisés ; c’est vraiment éprouvant », ajoute-t-elle.
La survenue d’Ebola dans la zone a créé un vent d’inquiétude au sein de la population. « J’ai vu beaucoup de gens mourir ici depuis l’annonce de cette maladie, et on nous disait que ces personnes étaient mortes d’Ebola« , raconte Athanase Ndungo Bonané, 67 ans, sentinelle au centre de santé de référence de Mangina depuis plus de quatorze ans. [irp posts= »5920″ name= »SANTÉ : DEBUT DE LA VACCINATION CONTRE EBOLA »]
Il veille sur ces lieux hospitaliers nuit et jour et voit régulièrement arriver toutes sortes de patients pour les soins de santé de base. « D’un seul coup, j’ai eu un sentiment douloureux et, je commençais à me dire qu’on allait tous mourir ici« , confie-t-il en Kiswahili, l’une des quatre langues officielles la plus parlée dans tout l’Est de la République Démocratique du Congo.
Dès les premières heures de la riposte, les volets clés ont été renforcés : la coordination locale à Mangina avec la présence de nombreux experts, la surveillance épidémiologique sur plusieurs axes entre le Nord Kivu et l’Ituri, l’installation des dispositifs de lavage des mains au chlore et la prise de la température à l’entrée des édifices et aux points d’entrée et de sortie prioritaires, la recherche active des cas, le suivi des contacts, la sensibilisation de la population, la prise en charge des cas etc.
« Depuis que je vois ces interventions sanitaires, rapides et efficaces, particulièrement la vaccination contre Ebola, mes amis du quartier et moi avons poussé un ouf de soulagement« , fait remarquer l’énergique gardien du centre de santé.
Selon les investigations préliminaires réalisées par les autorités sanitaires compétentes, « au moins 75 personnels de cet établissement de santé de Mangina ont été en contact direct ou indirect avec les cas confirmés d’Ebola, sans protection, et sont autorisés à se reposer chez eux pour être mieux suivis quotidiennement pendant 21 jours, durée requise d’incubation », précise pour sa part le Dr Bathé Ndjoloko Tambwe, Directeur général de la lutte contre la maladie (DGLM) du Ministère de la Santé. [irp posts= »5816″ name= »Santé : Le choléra progresse dans l’ombre d’Ebola en RDC »]
Pour remédier à cette situation, « une contribution financière raisonnable va être fournie au centre de santé touché, tandis qu’un paquet minimum constitué de la prime d’un mois de prestation sera remis à chacun des agents concernés en guise de motivation », souligne-t-il. Avant d’indiquer que d’autres prestataires, venus des zones de santé voisines les remplacent durant cette période.
Dans le même temps, pour contourner de nombreux obstacles à l’accès aux soins pendant cette période de l’épidémie, le ministère de la santé a décidé de la gratuité des soins pour tout patient fréquentant les centres de santé de la région.
Ces avancées positives sont saluées par les autres responsables sanitaires de la région. « Cela va nous aider à améliorer non seulement la prise en charge gratuite des patients, mais aussi la détection rapide des cas dans nos établissements sanitaires », note de son côté Musubao Tongo, infirmier traitant, venu de la zone de santé voisine d’Oïcha avec une cinquantaine d’autres collègues pour prêter main forte au centre de santé de Mangina.
Construit en 1976 et géré par le Diocèse de Butembo, ville voisine de Beni, le centre de santé de référence de Mangina est parmi les plus grands de la zone, avec une capacité installée de 119 lits. Selon les chiffres de cette formation sanitaire, chaque mois, celle-ci enregistre en moyenne 250 à 300 patients en hospitalisation, tandis qu’en ambulatoire, entre 700 et 800 autres patients sont pris en charge.
Une note d’espoir qui fait tout changer
Le ministre de la santé et ses partenaires traditionnels (OMS, UNICEF, MSF, ALIMA etc.) ont effectué aussitôt une première visite le 02 août 2018 dans le foyer de l’épidémie pour une évaluation rapide de cette urgence sanitaire. Puis des dizaines d’experts, toutes les organisations humanitaires confondues, ont foulé le sol de Mangina pour organiser la riposte.
Tout le dispositif de la réponse a été mis en place en urgence pour monter en puissance et endiguer la maladie. L’OMS a déployé ses épidémiologistes, logisticiens, gestionnaires des données, spécialistes en communication de risque, mobilisation sociale et engagement des communautés, experts en prévention et contrôle de l’infection etc.
Les autres partenaires ont également fourni un stock important d’experts dans les domaines divers pour appuyer efficacement les équipes locales de la zone de santé de Mabalako dont fait partie l’aire de santé touchée de Mangina.[irp posts= »3610″ name= »Santé : 11% des singes guéris d’Ebola en RDC »]
Laissant passer l’inquiétude toujours présente sur son visage, la religieuse confie d’une voix calme : « vous voyez un petit village comme ça, qui n’était pas si connu avant, et soudain, ça devient célèbre et le monde entier s’y intéresse. Ça nous donne de l’espoir que l’épidémie va être contrôlée rapidement pour nous permettre de vaquer à nos occupations habituelles« . Elle ajoute , « c’est la première fois qu’on a pu voir arriver ici le ministre national de la santé, le Directeur général de l’OMS et la Directrice régionale pour l’Afrique. Leur passage et le début des opérations de vaccination des personnes à risque nous ont permis de garder le bon moral ».
Eugène KABAMBI (OMS)